LE PETIT ÂGE GLACIAIRE

Ce nom, adopté pour un épisode climatique d’abord étudié dans les Alpes, est pourtant né en Amérique. Au début du XXe siècle, le topographe américain François Émile Matthes (1874-1948), étudia en profondeur les dépôts glaciaires de la Sierra Nevada et s’intéressant aux petits glaciers encore existants, il identifia en aval de ceux-ci, une série de moraines bien conservées. Il baptisa cet épisode Little Ice Age,  » Petit Âge glaciaire ».

La courbe d’évolution des glaciers alpins permet de bien identifier les quatre maxima  du PAG entre 1350 et 185, d’après Maisch, université de Zurich.
La courbe d’évolution des glaciers alpins permet de bien identifier les quatre maxima  du PAG entre 1350 et 185, d’après Maisch, université de Zurich.

Le « Petit Âge Glaciaire. » (1350-1850 apr. J.-C.), en abrégé PAG, a été caractérisé par la plus importante récurrence glaciaire des temps post-glaciaires, avec quatre maxima : vers 1350, 1640, 1820 et 1850. Il est maintenant admis que les débuts du PAG correspondent à la dégradation climatique du XIVe siècle et cette période, d’une durée de cinq siècles, prend fin vers 1850-1860.

Cependant, certains auteurs comme le glaciologue Louis Reynaud†, le font commencer au milieu du XVIe siècle, avec la crue glaciaire catastrophique qui commence vers 1550. Si l’on suit ce dernier, le refroidissement du XIVe siècle serait un « mini Petit Âge Glaciaire. » indépendant.

Le PAG, période climatique froide qui a touché l’ensemble du globe, se caractérise par des avancées successives des glaciers, auxquelles correspondent plusieurs minima de températures moyennes très nets (1 à 1,5°C de moins qu’aujourd’hui). Le PAG succède à l’optimum climatique médiéval et se caractérise par des séries d’hivers froids et d’étés frais. Ce refroidissement général est probablement la conséquence d’une période de faible activité solaire, appelée minimum de Maunder. Les études récentes des Laboratoires de Glaciologie et Géophysique de l’Environnement de l’Université de Grenoble (LGGE) et de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich (ETHZ) nous éclairent sur les causes de ces avancées glaciaires. Elles suggèrent qu’elles seraient plutôt dues à une augmentation notable des précipitations, qu’à une baisse des températures. Ainsi, les crues glaciaires seraient la conséquence d’une hausse de plus de 25% des chutes de neige, tout particulièrement durant la première partie du PAG. Cette situation a généré des bilans de masse positifs et, en conséquence une importante progression des langues glaciaires.

Dans l’histoire des glaciers, le PAG revêt une importance exceptionnelle. D’une part, étant la plus récente, elle est de très loin la mieux documentée. Mais c’est vraisemblablement la plus importante avancée des glaciers depuis le début des temps post-glaciaires.

Les traces du PAG

Dans les Alpes, les traces du PAG sont généralement bien soulignées par les immenses moraines latérales bâties ou simplement rechargées à cette époque, ainsi que par quelques moraines frontales situées à l’aval. Alpinistes et randonneurs les connaissent bien : de nombreuses montées en refuge se déroulent, au moins en partie, en suivant leur fil.

Ce refroidissement a bien entendu un impact dramatique sur la société.

L’olivier, cultivé à Aoste au Moyen-Age, y est par la suite abandonné.  Surtout, les glaciers détruisent des canaux d’irrigation, les fameux « bisses » du Valais par exemple, des alpages, des mines, des villages même : Bonanay, le Chatelard, ou la Rosière dans la vallée de Chamonix, Tieffenmatten près de Zermatt.

La mort blanche dans le monde

Le froid s’abat sur la France

Les populations souffrent du froid, en 1693 et 1694, près de 1,7 millions de Français meurent, autant que durant la Première guerre mondiale.
Les 25 ans qui vont de 1690 à la mort de Louis XIV constituent la face sombre du règne du Roi Soleil. Les guerres s’enchaînent mais les pertes militaires ne sont rien à côté de la famine qui règne dans le pays.
Hivers glaciaux et étés pluvieux plongent la France dans le désarroi.  Paysans et pauvres se lancent sur les routes, mendiant et espérant trouver en ville de la nourriture. Pour ne pas mourir de faim, on cueille des glands et des fougères pour en faire une sorte de pain. Mais ces expédients achèvent de tuer une population déjà affaiblie. Les animaux meurent aussi car on ne peut plus les nourrir. Les charognes de chiens, de chevaux et autres animaux sont consommées malgré leur état avancé de putréfaction. Suicides et anthropophagie ne sont pas rares.

Durant l’été 1694, la chaleur accélère la décomposition des milliers de cadavres qui jonchent les routes. Des épidémies, dont la typhoïde, se propagent.

L’hiver de 1709-1710 est également resté dans les mémoires. Le vin a gelé jusque dans le verre du roi. Le froid atteint -25°C en campagne. Cet hiver a entraîné la mort de 200 000 à 300 000 personnes par le froid et la faim.

En Angleterre, la Tamise a été fréquemment prise par les glaces pendant ce refroidissement. A partir de 1608, on y organise les « fêtes de la glace » sur les eaux gelées. Mais, si en ville, les nobles et bourgeois s’en amusent, en campagne, les paysans meurent.

2 b  Peinture du 17e siècle représentant des Londoniens qui assistent à une "Fête de la glace"
2 b  Peinture du 17e siècle représentant des Londoniens qui assistent à une « Fête de la glace »

En Amérique du Nord, en 1816, la neige tomba en plein été. Plusieurs vagues de froid venant de l’Arctique firent d’énormes dégâts.
La même année, il faisait 26,7°C à Williamstown (Massachusetts) le 5 juin. Le 6 au matin, il ne faisait plus que 7,2°C et la température continua à chuter.
Le 7 juin, il neigea.

1816 est ainsi « l’année sans été ». : le début du XIXe siècle correspond approximativement à l’une des dernières grandes crue du PAG, cela non seulement dans les Alpes, mais aussi dans toute l’Europe. Dès 1913, un météorologue américain établit un rapport entre ce froid de 1816 et une série d’éruptions volcaniques, surtout celle du Tambora en Indonésie en 1815, la plus importante de l’histoire. On estime qu’elle éjecta près de 200 milliards de tonnes de cendres dans la haute atmosphère. La circulation de la poussière et des gaz entraîna dans le monde un changement climatique général, certes temporaire, le voile épais  arrêtant une partie des rayons du soleil. Depuis, on a pu avec précision montrer que de nombreuses éruptions ont provoqué des péjorations climatiques : ce fut le cas en 1 450 av. J.-C., où celle de Santorin entraîna une diminution de température estimée à 0,5°C. Plus près de nous, les éruptions du volcan Agung à Bali en 1963, de El Chichon en 1982 ou du Pinatubo en 1991 ont elles aussi entraîné des refroidissements bien identifiables.

Influence du Petit Age Glaciaire sur la qualité des violons

La qualité des célèbres violons Stradivarius fabriqués au XVIIe siècle devrait beaucoup… au climat !

En effet, en passant au scanner des violons de Crémone, de l’époque de Stradivarius, un médecin et un luthier, aux Etats-Unis, ont découvert une homogénéité particulière dans la densité du bois. Selon eux, elle expliquerait leurs qualités exceptionnelles et serait due au climat froid qui régnait à l’époque sur l’Europe.

http://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/homme-miracle-stradivarius-devrait-beaucoup-climat-16152/

Le célèbre luthier Antonio Stradivarius
Le célèbre luthier Antonio Stradivarius

Des catastrophes en série

Les catastrophes se succèdent. Car les glaciers ne font pas qu’envahir les pâturages, que détruire chapelles et villages. Ils provoquent aussi des débâcles glaciaires en bloquant une vallée. En 1595, le glacier de Giétro ravage la vallée de la Drance par une débâcle de son lac, faisant 140 victimes ; deux ans plus tard, la chute du glacier de Hohmatten, en Valais, fait 81 morts ; en 1633, la débâcle du lac de Mattmark, au-dessus de Saas-Fee, ravage la vallée jusqu’à Viège.

Aquarelles de Escher de la Linth, 1818 : lac de Mauvoisin et le cône du glacier du Giétroz dans le val de Bagne en 1818
Aquarelles de Escher de la Linth, 1818 : lac de Mauvoisin et le cône du glacier du Giétroz dans le val de Bagne en 1818

Sous la menace permanente des glaciers en crue, les populations des vallées se réfugient dans la foi. Malgré nombre de processions et de prières, les catastrophes se succèdent. Plus à l’est, dans les Alpes de l’Ötztal, le Vernagtferner est l’un des plus dangereux glaciers des Alpes. A plusieurs reprises, sa langue vient bloquer la vallée de la Rofen, formant un lac, le Rofensee, dont les débâcles sont catastrophiques (voir les risques et catastrophes glaciaires).

Toujours au Tyrol,  le Gurgler Ferner barre régulièrement le Langtal, formant ainsi le lac de Gurgl (Gurgler Eissee). Au cours de ses poussées répétées, l’émissaire du Langtaler Ferner, qui se jette d’ordinaire dans la Gurgler Ache, est arrêté par cette barrière de glace. Le Gurgler Eissee atteint à plusieurs reprises des dimensions inhabituelles, en 1716-1724 et 1770-1774 par exemple et au cours du maximum du milieu du XIXe siècle. Il se situe à 2360 m d’altitude, au confluent avec le Langtal. Bien que le lac se déversât sans dommage, en partie sous le glacier, en partie par débordement, il n’en est pas moins le motif de ferventes processions pour la population de la vallée, si souvent touchée par les débâcles du Rofensee. Les deux lacs glaciaires représentent une menace pour les habitants de l’Ötztal. Au début de l’été 1718, alors que le Gurgler Eissee atteint un niveau vraiment inquiétant, le charismatique  curé de Sölden, Jakob Kopp, conduit de nombreuses processions, destinées à éradiquer le maléfice. Il vient dire la messe tous les samedis sur le Steinerner Tisch (en bordure du lac), près du Hochwildehaus, sur le versant ouest du Schwarzenkamm. C’est de cette époque que date le millésime 1718 gravé dans la pierre.

Procession sur le Steinerner Tisch organisée à l'initiative du curé de Sölden au Gurgler Eissee en 1718.
Procession sur le Steinerner Tisch organisée à l’initiative du curé de Sölden au Gurgler Eissee en 1718.
Procession au glacier de Fiesch, peinture de Raphaël Ritz (1868)
Procession au glacier de Fiesch, peinture de Raphaël Ritz (1868)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les glaciers s’écroulent sans crier gare ; la chute du glacier de Hohmatten, dans la région du Simplon en Valais, fait 81 morts. En 1595, à Randa, au-dessous de Zermatt, le village est constamment menacé par les séracs du Bisgletscher descendant du Weisshorn. Le glacier du Giétro ravage le Val de Bagne par une débâcle de son lac, faisant 140 victimes ; deux ans plus tard, en 1633, la débâcle du glacier de Mattmark, au-dessus de Saas-Fee, ravage la vallée jusqu’à Viège. (voir les risques et catastrophes glaciaires) .

Dans le Valais, le lac de Märjelen, en bordure du glacier d’Aletsch, se vidange en 1813, 1820 et 1828. Dans le val d’Aoste, les débâcles du lac Sainte-Marguerite formé au front du glacier du Ruitor se reproduisent de 1594 à 1597 ; le duc de Savoie, Charles Emmanuel Ier, envoie des ingénieurs, mais les solutions qu’ils proposent, jugées trop coûteuses, ne sont pas mises en œuvre, et les débâcles continuent.

Dans le canton de Berne, terre protestante, on a également recours à l’exorcisme : c’est le cas en 1719 puis en 1777 à Grindelwald. En 1850 encore, on procèdera au bannissement des glaciers de Ried et de Gorner (Valais) lors de leur dernière grande avancée.

Les déboires du glacier des Bois

Dans la vallée de Chamonix, les grandes crues du glacier des Bois du début du XVIIe siècle sont bien documentées par les archives locales et l’évolution historique et la disparition des hameaux du Châtelard et de Bonanay sont pleines d’enseignements.

Le glacier des Bois
Le glacier des Bois
Grotte du glacier des Bois
Grotte du glacier des Bois

Destruction des hameaux du Châtelard et de Bonanay

Jusqu’en 1570, on achète encore des propriétés au Châtelard : la proximité du glacier inquiète encore peu. La situation se détériore rapidement  vers 1590-1600 ; beaucoup de dégâts sont signalés pour les terres cultivées. S’appuyant sur un rapport de Nicolas de Crans , commissaire de la Chambre des Comptes de Savoie, l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie démontre le début d’une importante crue glaciaire en 1600, qui culmine en 1610. Laissons parler à ce sujet Nicolas de Crans, , enquêteur à Chamonix, sur plaintes des habitants, en 1610. Evoquant les «exploits» du glacier (probablement ceux de 1600 – 1601), il écrit : »Vous avonsrecogneu les ruynés que tes glassiers et rivière «Arve ont faict au terroir dud Chamonyx en plusieurs endroictz mesme le glacier appelé des Bois (mer de Glace) quapporte eîfroig et espovente-ment aux regardants, lequel a ruyné une bonne partie du terroir et village entièrement du Chastellard, et emporté tout à faict ung aultre petit village appelé Bonnenuict ». Jusqu’en 1600, il y a toujours des signes de vie au Châtelard, mais la première catastrophe s’y produit probablement en 1601, avec la destruction partielle du hameau par l’avancée du glacier.

Lors d’un second voyage dans la vallée de Chamonix, Nicolas de Crans visite à nouveau le Châtelard en 1616 et en découvre les ruines : « seules six maisons délaissées par leurs propriétaires étaient encore debout, menacées par le glacier…dans lesquelles des habitants vivaient encore dans une grande pauvreté« . Il mentionne « deux lobes du glacier », ce qui signifie un débordement partiel sur la Côte du Piget.

Le hameau de Bonanay, édifié en 1458, a connu une destruction similaire. Ayant atteint une douzaine de maisons, il semblait en sécurité jusqu’à l’avancée du glacier des Bois qui déborde la Côte du Piget en 1600. Toujours selon le Roy Ladurie, personne ne semble en 1591 s’inquiéter de la présence du glacier qui domine déjà la Côte du Piget. Pourtant le village disparaît totalement en 1643 ; seul subsiste aujourd’hui dans le cadastre le toponyme « forêt de Bonanay ».

En 1606, Saint François de Salles lorsqu’il se rend à Chamonix, écrit à Jeanne de Chantal, de retour du « pays des glaces » où il a vu « des monts épouvantables, tout couverts d’une glace épaisse de dix à douze piques [16 à 20 m] ».

Devant la forte crue du glacier des Bois, d’août 1641 au printemps 1642, qui fait craindre qu’il ne barre l’Arve et provoque des inondations désastreuses, les Chamoniards montent en procession au glacier des Bois qui vient de détruire le hameau du Châtelard, en 1643.

De même en juin 1644, les paysans de Chamonix implorent l’aide des moines de la collégiale de Sallanches, dont ils dépendent :  » Nous Jean Deffoug, chanoine ouvrier de l’insigne collégiale de Saint-Jacques de Sallanches, certifions avoir fait faire diverses processions pour faire des bénédictions sur les glaciers, sur les prières qui nous en ont été faites par les communiers dudit Chamonix qui se doutent qu’il n’y ait des esprits aux dits glaciers, lesquels avançant par succession de temps contre les terres ont gâté des maisons et plusieurs possessions« .

Charles-Auguste de Sales est le neveu de Saint François. Coadjuteur de l’évêque de Genève, il se trouve à Sallanches lorsque se présentent devant lui Jean Deffoug, chanoine et administrateur du prieuré, assisté des syndics et conseillers de la même paroisse, qui lui dressent un sombre tableau de la vallée « montueuse, haute et estroitte, aupred de grands glaciers, lesquels se destachent pour descendent sur leurs terres avec de si grands abîmes pour ravages qu’à tous coups ils sont menasses de l’entière ruyne en leurs maisons et possessions« .

L’origine de cette menace ne fait aucun doute aux Chamoniards : Dieu veut les punir de leurs péchés. La présence du coadjuteur vient à point. Ce dernier s’émeut du triste sort des suppliants et accepte de visiter la paroisse. Il monte trois jours plus tard en compagnie du doyen de l’église de saint Jacques de Sallanches et de plusieurs autres ecclésiastiques.

Le lendemain de leur arrivée, ils célèbrent une messe en l’église de Chamonix dédiée à l’archange Saint Michel ; et après la prière, ils décident d’un jeûne public. S’en suivent les « processions générales« , probablement sur les chemins du bourg. Le même jour, Jean Deffoug conduit l’évêque et sa suite au village des Bois, menacé par le glacier éponyme.

La procession est suivie par environ trois cents personnes ; la solidarité montagnarde est éclatante. L’évêque est saisi d’effroi à la vue du « grand et espouvantable glacier poussé du hault de la montagne« , menaçant le village de ruine totale. Une fois la bénédiction du glacier faite, la troupe se rend dans le haut de la vallée pour bénir les glaciers d’Argentière et du Tour. Charles-Auguste de Sales n’oublie pas celui des Bossons, et même celui de Taconnaz. « Ce jourd’huy, nous aurions avec la mesme solennité bénit ung quattriesme et cinquiesme glacier au lieudict les Bossons« . Aucun glacier n’a été oublié ! Pouvoir de la foi ou non, la menace  semble s’éloigner peu à peu et le glacier reculer jusqu’en 1663, selon le glaciologue Mougin (1912).

Les extensions de la Mer de Glace entre le maximum du PAG (stade de 1643) et la position actuelle du front, (d’après Mougin et le LGG), localisation des hameaux du Chatelard et de Bonanay.
Les extensions de la Mer de Glace entre le maximum du PAG (stade de 1643) et la position actuelle du front, (d’après Mougin et le LGG), localisation des hameaux du Chatelard et de Bonanay. Reconstitution de l’évolution du hameau de Bonanay entre 1550 et 1643, dessins  de….  ©CNM, Sallanches
En 1820 le glacier des bois menace à nouveau les maisons du village des Bois
En 1820 le glacier des bois menace à nouveau les maisons du village des Bois

Le Petit Age Glaciaire voit également la naissance du tourisme et de l’intérêt pour les glaciers. Au Montenvers, en rive gauche de la Mer de Glace, la célèbre Pierre aux anglais, déposée sans doute lors des grandes crues de la Mer de Glace au XVIIe siècle, immortalise la visite et « l’invention » de la Mer de Glace par deux jeunes anglais, William Windham et Richard Pococke. En 1741, guidés par des chasseurs-cristalliers de Chamonix, ils découvrent la vallée glaciaire, prolongement amont du glacier des Bois.

Il sont impressionnés par ces « glacières » de Savoye, la description qu’en donne Windham restera dans les mémoires : « Il faut vous imaginer votre lac [celui de Genève] agité d’une grosse brise et gelé tout d’un coup. Encore ne sais-je si cela ferait précisément le même effet ».  De cette comparaison est née l’expression « Mer de glace », qui sera reprise, pratiquement dans les mêmes termes, d’un voyageur à l’autre. Cet événement marque le véritable début du tourisme alpin.

 

Richard Pococke
Richard Pococke
William Windham
William Windham

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les artistes et le Petit âge Glaciaire

Lithographies et peintures

Gabriel Loppé (1825 – 1913)

Photos

Glaciers : légendes et exorcismes

Dans son  « Itinera alpine »  Scheuchzer consacre un chapitre entier à décrire et dépeindre diverses rencontres avec ces créatures. Des histoires racontent des serpents avec des membres ou des visages presque humains, voire deux queues et deux langues, avec un corps recouvert d’écailles.

Selon certaines légendes, les dragons sortaient des glaciers sous la forme de serpents ailés.

Johann Jakob Scheuchzer
Johann Jakob Scheuchzer
L'ouvrage de Scheuchzer "Itinera alpine"
L’ouvrage de Scheuchzer « Itinera alpine »

 

Représentation du dragon par Scheuchzer (1708)
Représentation du dragon par Scheuchzer (1708)

 

Les calamités causées par les glaciers au début du PAG sont sans doute à l’origine de nombreux croyances et récits légendaires qui en expliquent, au moins symboliquement, les raisons. Derrière leur variété se manifeste une croyance que l’on peut résumer ainsi : à la suite de quelque faute ou malédiction, des alpages et des villages, hier prospères, ont été recouverts par les glaces ; le coupable est condamné à errer dans celles-ci, où il n’est pas rare d’entendre ses plaintes. D’une manière générale, l’Église chrétienne considère le glacier comme un lieu où l’on expie ses péchés (procession d’âmes en peine sur les glaciers, mythe du juif errant faisant progresser le glacier).

Ainsi sur le versant autrichien des Alpes de Berchtesgaden, prospère la légende de l’Ubergössene Alm, l’alpage englouti : là où n’existe plus qu’un champ de glace, les paysans vivaient jadis  dans l’aisance, avant que leurs malversations n’entraînent l’engloutissement de leurs pâturages.

Dans les Alpes vaudoises, les alpages verdoyants de Tsanfleuron, champ fleuri, auraient aussi été transformés en glacier pour punir un berger au cœur de pierre. Aux alpages de Ruitor, dans le val d’Aoste, le berger aurait refusé à Jésus déguisé en mendiant un bol de lait, répandant sur ses pieds le lait de ses chaudrons. Se répandant les pâturages, il se serait transformé en neige et glace.

Voilà pourquoi à la Blumlisalp, l’Alpage des fleurs, dans les Alpes bernoises, où hier les vaches donnaient du lait trois fois par jour, est aujourd’hui couvert de champs de neige étincelants.

Mais la plus célèbre de ces légendes est sans doute celle du Juif errant, popularisée par les frères Grimm dans leurs Légendes allemandes dès 1819 : « Le mont Matter [le glacier du Théodule], sous le Matterhorn en Valais, est un grand glacier duquel s’écoule la Vispa. Selon une légende populaire, une cité imposante y existait dans le temps. Le Juif errant y passa et dit : « quand je repasserai par ici il n’y aura rien d’autre que des troncs et des rochers là où vous voyez rues et maisons. Et quand mon chemin m’y amènera une troisième fois, il n’y aura plus rien d’autre que de la glace et de la neige. »

Grüner et Bourrit citent tous deux la légende suisse d’un village englouti par le glacier, dont ne se voit plus, à travers la glace, que le clocher doré, histoire dont un autre Suisse, Cosey, a fait l’un des ressorts de sa belle bande dessinée, À la recherche de Peter Pan.

La légende du mont Miné, en Valais puise dans cette même veine de la cité engloutie: « Autrefois, habitait au mont Miné un roi fort riche et très gai. Cependant un souci secret le tourmentait : on lui avait prédit que s’il trouvait un jour de la glace dans le bassin de la fontaine du château, il devrait s’enfuir au plus vite car ce serait là le signe que toute la contrée serait transformée en glacier. Depuis quelque temps, la fille du roi avait aperçu quelques glaçons dans la fontaine, mais n’en avait rien dit à son père. Un matin, à la vue du bassin complètement gelé elle alla, pleine de terreur, l’annoncer au roi. Celui-ci quitta immédiatement le château et ses terres et se dirigea du côté d’Évolène. Après une longue marche sans avoir osé regarder en arrière, il s’assit sur une pierre, plein d’inquiétude. Il regarda alors vers son petit royaume, mais quelle ne fut pas sa douleur en le voyant recouvert d’un immense glacier. Dès lors il vécut près de cette pierre sur laquelle il vint chaque jour s’asseoir et pleurer ses terres. Elle porte le nom de Chesal du Rey.« 

A Chamonix, la Mer de Glace n’échappe pas aux récits légendaires. Et celui des des fées est plutôt beau. À la place du glacier, s’étendait un riche pâturage, et les fées, habitant des grottes tapissées de cristaux étincelants, y jouaient avec des quilles d’or. « Cependant, les glaciers des Leschaux, de Talèfre et du Géant, alors encoignés tout en haut, se mirent à avancer, poussant leurs blanches murailles sur les prairies en fleurs. Les fées durent s’enfuir à la hâte, laissant sur place leurs jeux, aussitôt ensevelis, rabotés, dans les profondeurs. C’est pourquoi on trouve des paillettes d’or dans le torrent de l’Arveyron« .

Plus commune en revanche, la légende de la vieille mendiante : chassée à coups de pierres par les bergers à qui elle demandait l’aumône, la mendiante – en réalité une fée – s’enfuit en jetant sa malédiction. Le lendemain matin les prairies ont disparu sous la glace et le froid. Seule, une petite colline est épargnée : le Jardin de Talèfre, où fleurissent encore quelques fleurs de montagne.

La vieille Schmidja du glacier d’Aletsch

On voyait autrefois non loin du glacier d’Aletsch une petite maison en bois noircie par le temps. Habitait là la vieille Schmidja, une bonne et pieuse veuve, l’amie des âmes infortunées et de tous ceux qui avaient péri sur le glacier. Lorsque, pendant les longues nuits d’hiver, elle filait active et recueillie, une prière fervente montait de son coeur pour les pauvres âmes attirées par la lumière de sa lampe qui, chaque soir, se pressaient affolées et transies autour de son chalet, et dont elle reconnaissait la présence sous ses fenêtres à un bruissement mystérieux et plaintif. Bien plus, dans sa compassion, au moment d’aller se coucher, elle laissait la porte entrouverte pour que la dolente cohorte pût entrer et se chauffer à son feu. Ainsi consolées, les âmes repartaient au son de l’Angélus du matin. Quand Schmidja parvenue à un grand âge vint à mourir, les deux femmes qui l’avaient soignée virent tout à coup une vive lueur illuminer la maison ; et courant à la fenêtre, elles aperçurent comme une longue file de cierges qui cheminaient du côté du glacier, et s’éteignaient un à un aussitôt qu’ils y arrivaient. « Ce sont les pauvres âmes, firent-elles, qui accompagnent l’âme de leur amie, et lui rendent le feu qu’elle leur a prêté pendant sa vie. »