Que représente la glaciation des Alpes dans l’âge de la Terre ?
L’histoire de la Terre se subdivise en périodes géologiques ou « ères ». Le précambrien, d’une durée de 2,5 Milliards d’années, précède l’apparition des premiers fossiles il y a 500 Millions d’années. Puis viennent dans l’ordre suivant : les ères Primaire, Secondaire Tertiaire et Quaternaire. Essayons d’imaginer que cet incroyable laps de temps représente 12 heures. Cela conduirait les temps précambriens de minuit à 9 H 30 du matin. Les grands reptiles, les dinosaures n’apparaîtraient qu’après 11 heures ; la chaine des Alpes vers 11 H 50 ; l’homme et les grandes glaciations du Quaternaire environ 16 secondes avant midi. L’histoire des glaciers des Alpes (depuis 4 millions d’années) ne représenterait alors que 30 petites secondes dans l’histoire de la Terre !
Pendant presque toute la durée de ses 4,6 milliards d’années d’existence, la planète a été chaude et complètement dépourvue de glaciers. Seules cinq grandes ères glaciaires, chacune durant en moyenne 50 millions d’années, ont amené des températures plus fraîches.
La figure présente en bleu (première ligne) les cinq ères glaciaires connues. Chacune d’elles englobe plusieurs époques glaciaires, dont les températures moyennes sont encore plus basses.
On retrouve les traces des glaciations anciennes de l’ère Primaire dans le Sahara (vers 450 millions d’années) et en Australie, en Afrique du Sud, en Inde et en Amérique du Sud (vers 270 millions d’années). La dérive des continents explique le phénomène : au cours de sa migration, l’Afrique, soudée à l’Australie, a transité par le pôle Sud et occupé pendant quelques dizaines de millions d’années la place du continent Antarctique. Nos régions étaient alors sous l’équateur : la forêt luxuriante qui y croissait donna naissance aux couches de charbon (d’où le terme de Carbonifère pour la période de la fin de l’ère Primaire).
L’ère Secondaire a bénéficié d’un climat très chaud, le maximum des températures étant atteint voici 70 millions d’années peu avant l’extinction des dinosaures. Puis pendant l’ère Tertiaire, qui débute il y a 65 millions d’années, la Terre entame une longue période de refroidissement correspondant à une baisse des températures moyennes de quelque 10 à 15 °C.
Depuis 35 millions d’années, l’ère actuelle (deuxième ligne) a connu plusieurs époques glaciaires durant lesquelles la calotte de l’Antarctique s’est formée. Les premiers glaciers s’installent au Groenland et dans les Alpes il y a 4 à 5 millions d’années, un peu avant le début du Quaternaire.
Le Quaternaire (2,6 millions d’années) inaugure l’un des épisodes les plus froids de l’histoire terrestre (troisième ligne). Ces offensives particulièrement vigoureuses des glaces constituent les glaciations. La dernière de ces glaciations (quatrième ligne), précédée par une période plus chaude, appelée interglaciaire, commence il y a environ 75 000 ans. Après un premier maximum, il y a 60 000 ans, elle se modère quelque peu et marque un nouveau temps fort il y a 25 000 ans. Dans les 11 000 dernières années de l’interglaciaire Holocène (cinquième ligne) l’amplitude des températures n’a jamais excédé 2° autour de la moyenne planétaire actuelle de 15°C. Le dernier de ces épisodes, entre le XIVe et le milieu du XIXe siècle, a reçu le nom de Petit Âge Glaciaire (sixième ligne). Depuis, le climat est relativement doux ; seulement ponctué de refroidissements comme le dernier entre les années soixante et les années quatre-vingt (septième ligne).
Le Quaternaire, définition : (depuis 2,6 millions d’années) période la plus récente sur l’échelle des temps géologiques. Cette période se caractérise par une succession d’environ 30 glaciations et l’apparition de l’Homo erectus. Le Quaternaire est subdivisé en deux époques géologiques : Pléistocène et Holocène.
La chronologie isotopique
Un enregistrement continu et global des variations de température a été recherché à partir des années 1950. Il a été fourni par des carottages dans les sédiments des fonds océaniques et dans les calottes glaciaires du Groenland ou de l’Antarctique. La proportion entre les isotopes 16 et 18 de l’oxygène contenus dans ces sédiments (en particulier dans les Foraminifères fossiles des sédiments océaniques) est corrélée à celle de l’eau de mer, elle-même liée à la température moyenne de l’atmosphère terrestre. Une courbe de variation de la température moyenne a ainsi pu être établie pour les 200 derniers millénaires. Elle a ensuite été confrontée aux datations obtenues par d’autres méthodes pour aboutir à une chronologie isotopique désormais universellement reconnue.
La courbe isotopique de températures a permis de définir une alternance de stades froids et tempérés, numérotés à partir du stade tempéré actuel ou stade 1, en remontant dans le temps.
Ces stades sont appelés stades isotopiques de l’oxygène, connus plutôt sous leur nom anglais, marine isotopic stage ou MIS, les pairs correspondant aux périodes froides (et donc aux glaciations), les impairs aux périodes chaudes. (ou OIS pour Oxygen isotope stage). Les stades froids portent des numéros pairs (2, 4, 6, etc.) et les stades tempérés portent des numéros impairs (3, 5, 7, etc.). Ils peuvent correspondre respectivement aux phases glaciaires et aux interglaciaires des anciennes chronologies continentales, mais aussi à des épisodes intermédiaires, les interstades. La glaciation würmienne correspond approximativement aux stades isotopiques 2, 3, 4, le stade 5 à l’avant dernier interglaciaire, le stade 6 (MIS 6) à l’avant dernière glaciation (Riss récent), le stade 10 correspondrait à la glaciation la plus étendue dans les Alpes !
Les alpes avant les glaciations, les époques tertiaires
Les Alpes sont pratiquement dépourvues de documents datant de la fin du tertiaire ; nous savons que les Alpes, pour la région du Mont-blanc, forment un relief entièrement terrestre depuis 28 Ma. Depuis cette époque, l’oligocène, la chaîne des Alpes, en plein soulèvement était immédiatement soumise à une intense érosion. Une partie de ce qui deviendra plus tard le Jura, car il n’était pas encore plissé, et le pied des Préalpes étaient envahis par une mer peu profonde constituée de lagunes.
Quelle était l’allure de nos régions ? Les quelques hypothèses élaborées reposent sur l’étude du bassin molassique où s’accumulaient les produits de cette intense érosion.
En effet, la longue et étroite dépression qui longeait le bord de la chaîne, de Grenoble à la Bohème, recueillait la charge détritique des rivières alpines. Le vaste bassin devait se présenter comme une large plaine marécageuse où divaguaient des rivières entre des îles basses couvertes d’une végétation tropicale luxuriante. Sur les rivages de ces lagunes évoluaient une faune et une flore tropicale. Les fossiles de faune et de flore de la molasse (dont des palmiers) indiquent qu’à l’Oligocène, la couverture végétale remontait certainement très haut en altitude. Le climat était encore chaud et humide, comparable à celui de l’actuelle Virginie. Bien que les Alpes n’aient pas encore abrité de glaciers, les processus de l’érosion étaient déjà à l’œuvre, l’action du gel et du dégel, appelée la cryoclastie, était secondée par l’érosion fluviatile. À leurs embouchures, les rivières abandonnaient leur graviers, n’entraînant dans la partie centrale de la dépression que leurs grains les plus fins. Le gros de la molasse est constitué de ces éléments fins, alors que les graviers et galets se retrouvent actuellement à l’état de conglomérats bien cimentés le long du bord interne du bassin. On peut ainsi localiser plusieurs amas conglomératiques (Mont Pèlerin, Guggisberg, Napf, Rigi, Hörnli), qui correspondent à autant de deltas de rivières tertiaires. La molasse, roche détritique par définition, est constituée uniquement de débris de l’érosion des Alpes déposés entre – 25 Millions d’années et – 10 Millions d’années.
La figure représente les cônes de déjection de la Nagelfluh et le réseau fluviatile sur la bordure septentrionale des Alpes lors du dépôt de la Molasse. Le réseau hydrographique actuel, dessiné en noir, sert de repères (d’après Burgisser et Schlanke).
Des hautes montagnes existaient, aussi élevées, peut-être plus qu’aujourd’hui, mais bien différentes par leurs aspects et leurs caractéristiques lithologiques de celles que nous connaissons.
La présence de débris alpins de la molasse prouve qu’il existait, plusieurs millions d’années avant l’apparition des glaciers, un réseau hydrographique qui remontait au cœur du massif alpin. Peut-on aller plus loin dans la reconstitution géographique de cette période ? Par exemple imaginer le tracé des rivières ? L’exercice fut autrefois tenté par d’anciens géologues très audacieux comme le Zurichois Rudolf Staub. Les reliefs et le réseau hydrographique étaient fort différents de ceux que nous connaissons aujourd’hui. C’est par un système de capture puis d’érosion régressive que le cours des rivières actuel s’est mis en place bien avant les premières invasions glaciaires.
Il y a environ 5 Ma, le climat de l’Europe entama un lent refroidissement. Celui – ci s’est installé d’une manière plus ou moins contemporaine à la mise à l’affleurement des massifs granitiques du Mont-Blanc de Belledonne et de l’Aar. A la fin du Miocène et le début du Pliocène entre – 5 et – 3 Millions d’années, ce refroidissement a favorisé la préservation du manteau neigeux en altitude, et ainsi la formation de petits appareils glaciaires dans les Alpes.
Les glaciers à Lyon !
Plusieurs glaciations paroxysmales (une tous les 100 000 ans) sont désignées par les noms de rivières de Bavière : Günz, Mindel, Riss et Würm. D’après Mandier (1984), ce serait au Riss (entre 450 000 et 140 000 ans) que les glaciers des Alpes furent les plus étendus.
Depuis la fin du pliocène, le massif alpin a connu l’alternance de nombreuses périodes glaciaires et interglaciaires. C’est probablement vingt à vingt cinq glaciations qui se sont succédées depuis 2,6 millions d’années. Les très anciennes nappes alluviales, dont il reste quelques lambeaux à la périphérie des Alpes, nous indiquent que les glaciers se sont étendus une bonne douzaine de fois dans les plaines du Lyonnais durant le pléistocène moyen et récent.
Chronologie du Quaternaire selon les auteurs français (Mandier, 1984)
Par opposition aux calottes des hautes latitudes, la morphologie initiale des Alpes, avec des reliefs élevés et une topographie très tourmentée, a contraint l’englacement sous la forme de grands glaciers de vallées. Au paroxysme des grandes glaciations, ces glaciers débordaient du massif et s’étalaient sur les plaines de la bordure des Alpes (lobes de piémont).
A l’intérieur des Alpes, seules les traces des deux dernières périodes glaciaires, la glaciation du Riss, l’avant dernière, et la glaciation du Würm qui prit fin il y a 10 000 ans, sont encore observables. En revanche, à l’extérieur du massif alpin, sur les plaines du piémont, de nombreux dépôts glaciaires (moraines, nappes alluviales) sont bien préservés. Ils témoignent de la mise en place d’anciens épisodes glaciaires du pléistocène.
Alors que la théorie glaciaire était unanimement admise par la communauté scientifique à la fin du XIXe siècle, les géographes Penck et Bruckner (1909) donnèrent une impulsion décisive à la recherche sur le quaternaire alpin par leurs travaux qui constituent toujours une référence. Ils furent les premiers à reconnaître deux complexes morainiques d’âges différents à la périphérie de l’arc alpin. On les identifie depuis le sud de Grenoble jusqu’au nord du Jura. Ce sont :
Le complexe des moraines externes : il représente la plus grande extension des glaciers alpins vers l’Ouest. Il recouvre la région des Dombes et l’ensemble de la région lyonnaise. Il est attribué à plusieurs épisodes glaciaires du Pléistocène ancien et moyen « Riss ».
Le complexe des moraines internes. Il est en retrait de 10 à 40 km du précédent selon la région considérée. Il est attribué au Pléistocène récent : la dernière glaciation “Würm”.
Le Pléistocène ancien
Glaciations du « Günz » et du « Mindel »
Cette longue période vieille de près d’un million d’années correspond à l’édification des très hautes terrasses et des hautes terrasses d’origine fluvioglaciaire attribuées respectivement aux glaciations du Günz et du Mindel. Elle se termine avec l’avancée des glaciers des « moraines externes » assimilées au complexe glaciaire du « Riss ». Elles sont bien représentées dans le couloir Rhodanien et en Valloire, où se manifestent directement et indirectement les premières influences glaciaires et périglaciaires.
Dans la vallée du Rhône, la très haute terrasse du plateau de Louze, aux cailloutis grossiers contenant quelques blocs erratiques cristallins roulés, pourrait être attribuée à une avancée paroxysmale du glacier de l’Isère en Bièvre-Valloire pendant cette période ancienne.
Les premières glaciations se sont avancées dans des vallées bien moins approfondies qu’au Würm, chacune contribuant au creusement progressif des vallées et des ombilics ; c’est pourquoi il n’est pas étonnant que l’on retrouve des dépôts glaciaires très haut perchés sur les flancs des grandes vallées alpines, hors de portée des glaciers würmiens. C’est le cas, dans la basse vallée de l’Arve, des blocs erratiques de la pointe d’Andey (1660 m), ou du sommet du Salève (1310 m).
La corniche calcaire du Vercors au-dessus de Grenoble nous livre quelques éléments confirmant ce scénario.
La grotte Vallier
Dans les régions calcaires, les eaux latérales sont parfois déviées vers une vallée voisine à travers les réseaux karstiques qui s’ouvrent sur le flanc des vallées. C’est le cas de la grotte Vallier, au-dessus de Grenoble, de la grotte des Sarrasins, également au-dessus de Grenoble, ou encore de la grotte de Niaux dans les Pyrénées ariégeoises.
La grotte Vallier, étudiée par Audra (1991) s’ouvre à 1520 m au-dessus de Grenoble, à la base de l’escarpement nord-est du Moucherotte (1901 m) dans le Vercors. Cette cavité a été empruntée, lors d’un épisode glaciaire très ancien par les eaux d’une bédière qui s’écoulait latéralement à la surface du glacier de l’Isère. Lors de cet épisode, les eaux de fonte de cette bédière y ont déposé du matériel cristallin allochtone. Les datations effectuées par paléomagnétisme sur les sédiments formant le plancher de la grotte ont fourni un âge supérieur à 780 000 ans.
Le paléomagnétisme et les inversions de polarité
Le pôle nord et le pôle sud n’ont pas toujours été au même endroit. En fait, si le pôle nord magnétique connaît en permanence une légère dérivation, il se retrouve parfois au pôle sud. et vice-versa. Ce phénomène s’appelle une inversion magnétique. On peut retrouver dans certaines roches des cristaux ferro-magnésiens, dont l’orientation traduit celle du champ magnétique terrestre au moment de la formation ou du dépôt de la roche, comme une boussole figée.
On distingue donc des époques stables à polarité normale, et d’autres à polarité inverse.
Remarque : les eaux n’ont pas envahi la grotte pendant une des glaciations du Mindel, car les sédiments constituant le plancher auraient été emportés. L’orifice de la grotte Vallier se trouvait donc, au Pléniglaciaire mindelien (antérieur à 450 000 ans), à une altitude supérieure à 1350 – 1450 m, cote atteinte alors par le glacier de l’Isère au niveau de Grenoble.
L’évolution pléistocène du réseau karstique de la grotte Vallier : le réseau karstique est progressivement tronqué par le recul de l’escarpement du Moucherotte, ce qui explique son ouverture en pleine paroi. 1 = Molasses miocénes, 2 = Calcaires du Crétacé supérieur, 3 = Calcaires urgoniens, 4 = Marnes hauteriviennes, 5 = Réseau souterrain et son exutoire
Le soulèvement de cette partie du Vercors a peut-être été actif depuis plus de 700 000 ans. Hormis ce facteur tectonique, il faut garder à l’esprit que les premières glaciations se sont avancées dans des vallées bien moins approfondies qu’au dernier cycle glaciaire würmien, d’où la présence de dépôts glaciaires perchés très haut sur les flancs de grandes vallées alpines, et hors de portée des derniers glaciers (Würm). C’est peut-être le cas des blocs de la pointe d’Andey et du col de Cenize en basse vallée de l’Arve. Chaque glaciation a contribué à l’approfondissement des vallées et des grands ombilics.
http://www.geoglaciaire.net/index.php?option=com_content&view=article&id=93&Itemid=103
Le système des hautes terrasses fluvioglaciaires, attribué au Mindel, est particulièrement développé en Valloire, en aval des moraines externes. Il comprend deux nappes alluviales emboîtées, Tourdan et Grange-Neuve-Anneyron. Dans la vallée du Rhône, les hautes terrasses sont peu représentées car elles ont été détruites par l’érosion postérieure du fluvioglaciaire rissien, sauf à proximité de Chasse sur Rhône.
On ne connaît nulle part de moraines en relation directe avec les hautes terrasses, comme si les glaciers Mindeliens étaient en retrait par rapport à ceux des moraines externes (Riss). Il est certain que ces glaciers ont débordé sur le Piémont car les hautes terrasses de Valloire ne peuvent-être que d’origine glaciaire.
Le pléistocène moyen
Le complexe glaciaire Rissien : moraines externes et moyennes terrasses
C’est probablement à l’époque des « moraines externes » définies depuis Penck et Bruckner comme Riss que les glaciers alpins ont eu leur plus grande extension et ont construit les moraines frontales les plus éloignées des massifs centraux. Les alluvions fluvio-glaciaires issues de ces moraines constituent en aval le système des moyennes terrasses. La stratigraphie des moraines externes et la pluralité des terrasses fluvio-glaciaires associées indiquent qu’il y aurait eu au moins deux ou au plus quatre pulsations glaciaires distinctes au sein du complexe Rissien.
C’est une très longue période qui correspond à trois ou quatre glaciations autonomes (Mandier, 1984), séparées par des interglaciaires. La glaciation la plus étendue pourrait correspondre à la longue phase froide qui culmine vers – 450 000 ans appelée MEG (Most Extension Glaciation) par les auteurs anglo-saxons. Puis deux, voire trois autres glaciations vont à nouveau permettre aux glaciers de déborder sur les plaines de piémont. La dernière de ces glaciations prendra fin il y a 130 000 ans lors de l’interglaciaire Riss-Würm. Ce dernier commence par un optimum climatique, l’Éémien, daté de 128 000 ans. A cette époque, l’Europe bénéficie, pendant quelques millénaires, d’un climat plus chaud qu’aujourd’hui ; la preuve nous en est fournie par des restes d’hippopotames qui vivaient alors sur les bords de la Tamise. C’est à peu près à cette époque que l’homme de Neandertal apparaît en Europe.
Le complexe des moraines externes est reconnu dans toute la périphérie du piémont alpin depuis les travaux de Penck et Bruckner (1909). Dans le Nord et le Nord-Ouest des Alpes, on peut l’observer, selon les lieux, de 10 à 40 km à l’Ouest du complexe des moraines internes. Du fait de son ancienneté (entre 140.000 BP et 450.000 BP), son état de conservation est moins bon. Suffisamment de dépôts sont encore présents pour proposer une limite de l’extension glaciaire responsable de sa mise en place.
La pluralité des terrasses fluvio-glaciaires associées aux moraines externes indique qu’il y aurait eu au moins trois, voire quatre glaciations au sein du complexe glaciaire rissien.
Le front des glaciers du maximum rissien (MEG) est bien délimité. Au nord de la Suisse, c’est la glaciation de « Möhlin » (Preusser el al. 2011), nom de la localité type situé à une quinzaine de km de Bâle. Le vaste lobe de piémont constitué par les glaciers du Rhône, Reuss, Linth et Rhin a envahi tout le nord de la suisse, se soudant à la petite calotte glaciaire de la Forêt Noire.
De son côté, le glacier du Rhin rejoignait la calotte de la Forêt-Noire et s’étendait au nord jusqu’à la vallée du Danube dont il bloquait le cours supérieur ainsi que celui de la Lauchert en formant un lac de barrage à la cote 684 m. De fait, l’exutoire du lac était contraint de s’écouler vers le Neckar (https://fr.wikipedia.org/wiki/Neckar). À l’est, il a poussé ses moraines jusqu’à Biberach an der Riß, la localité qui a donné son nom à la glaciation de Riss.
A l’ouest, contournant la calotte glaciaire jurassienne, le glacier du Rhône s’étendait jusqu’à Ornan au nord et sur les alluvions du sud de la Bresse jusqu’à Bourg Plus au sud, le glacier du Rhône s’étalait sur les alluvions du sud de la Bresse jusqu’à Bourg, recouvrant le plateau des Dombes au relief moutonné parsemé d’étangs. A l’est, ce lobe principal était réactivé par des courants de glace issus des vallées les plus basses sortant du Jura. Cette région a été étudiée sous l’appellation de « glaciaire de la Dombes », elle a fait l’objet de nombreux travaux ; nous mentionnerons particulièrement : Falsan et Chantre (1879), Bourdier (1960), Fleury et Monjuvent (1981), Mandier (1982).
Plus au sud, à Lyon, le glacier rissien ennoyait la colline de Fourvière (la basilique et une partie de la vieille ville sont construites sur de la moraine du glacier du Rhône) les glaces atteignant Tassin-la-demi-lune. Mordant sur la bordure orientale du Massif du Mont d’Or, il barrait le cours de la Saône où il retenait un vaste lac d’obturation au niveau du défilé de St Rambert. A l’est, il était limité par la vallée du Garon ; cette vallée était empruntée par le cours du Rhône et de la Saône issu du glacier qui rejoignait le cours actuel du Rhône à Givors. À Vienne, le front glaciaire obliquait vers l’est, longeant le rebord nord du plateau de Bonnevaux, puis entrait en contact avec une diffluence du glacier de l’Isère de la Bièvre-Valloire. L’arc morainique de Faraman-Beaufort-Pajay, situé à l’ouest de la Côte-St-André, témoigne toujours de cette extension des glaces iséroises !
Les moraines frontales externes sont nets de Bourg en Bresse à Givors, excepté au nord-ouest du plateau de la Dombes, entre Amareins et Fareins où elles disparaissent totalement. La disparition de ces moraines s’expliquerait, soit par l’érosion ultérieure exercée par la Saône, soit parce que le glacier, pendant cette phase maximale, venait mourir dans le lac d’obturation glaciaire de la Saône (Mandier, 1984).
Ces rides morainiques externes sont prolongées en aval par le système des moyennes terrasses fluvio-glaciaires. Il est particulièrement net en Bièvre Valloire. Dans la vallée du Rhône les moyennes terrasses sont assez démantelées, sauf dans le chenal périphérique de Tassin à Givors où l’on distingue trois terrasses emboîtées successives voire quatre niveaux successifs dans la région de Bourg en Bresse.
Les glaciations des Dombes : le « glaciaire de la Dombes »
Les travaux de Pierre Mandier (1984) ont permis de préciser les différentes glaciations ayant recouvert la Dombes au Pléistocène moyen.
On peut ainsi envisager la succession suivante de phases glaciaires du glacier Dombiste :
• un glacier ancien, appelé par Mandier stade de Chatanay, envahit la Dombes en progressant en éventail (période d’anaglaciaire). En Dombes occidentale, il édifie les cordons de Chatanay et s’avance vers le nord-ouest en trois lobes. Les différents courants de glace se rejoignent au nord et construisent la moraine frontale du Seillon. Plus au sud, la progression du glacier se calant contre le promontoire cristallin de St Rambert, est à l’origine du vaste lac de la Bresse se développant vers le nord sur plus de 200 km. C’est en partie dans ce lac que venait mourir le lobe glaciaire de la Dombes dont les eaux de fusion ont déposé (sédimenté) d’abord des sables puis, plus au nord, des argiles lacustres (Argiles de Rochetaillée).
Le niveau de ce lac semble s’établir à la cote 230 m.
• Le second stade, celui du marais des Echets, correspond également à une glaciation bien individualisée. Les différentes crêtes morainiques frontales sont encore bien visibles, c’est notamment le cas des moraines de Pouilleux, de Misérieux, s’étendant de l’est de Massieux jusqu’à Limanda, avec la magnifique ride morainique de Chapouilleux. Derrière celle-ci se trouve l’extraordinaire bloc erratique de granite du Mont-Blanc de Rancé (granite porphyroïide). Cette glaciation provoque un nouveau barrage glaciaire de la Saône d’un niveau légèrement inférieur au précédant (cote 210 m).
L’appartenance des moraines externes à la glaciation de Riss n’est pas unanimement admise. Dans le Lyonnais, les moraines externes sont attribuées au Mindel et au Riss par M. Gigout (1969), alors qu’en Bièvre une partie des moraines externes serait günzienne (Bois d’Autimont), les moraines intermédiaires rissiennes. Les travaux de Mandier (1982) attribuent les moraines externes associées aux moyennes terrasses au Riss ; gardons-nous de conclure un peu hâtivement, mais il est possible que la glaciation la plus étendue (MEG) appartienne à l’une des périodes froides du complexe Rissien.
Dans la basse Isère, le front du glacier Rissien n’est pas identifié (pas de moraines). A Grenoble, le glacier du Drac qui recevait en amont la transfluence du glacier de la Durance par le col Bayard et diffluait dans le Grand-Buëch par le col de la Croix Haute confluait avec celui de l’Isère. Le glacier de la Durance empruntait le sillon de Gap jusqu’à Sisteron, où il était bloqué par la barre calcaire transversale de la « Porte de Provence » qu’il façonnait en verrou. Les blocs erratiques de la crête de la Baume témoignent de la présence et de l’épaisseur de ce glacier. Il semble que le glacier rissien ait dépassé de quelques km la porte de Provence, en aval de Sisteron. A l’Ouest de Gap, il envoyait une importante diffluence dans la vallée du Petit Buëch par le seuil de la Freissinouse jusqu’au plateau de Veynes et par des brèches, débordait légèrement dans la vallée du grand Buëch contre la terrasse d’Aspres.
L’avant dernière glaciation, le Riss Récent (penultimate glaciation)
Elle a laissé des traces encore bien visibles dans le paysage de la périphérie des Alpes. Au nord de la Suisse, l’avant dernière glaciation est identifiée sous le toponyme de « Beringen glaciation » (Preusser el al. 2011), du nom de la localité type limitant au nord le lobe du glacier du Rhin.
Durant cette période, le glacier du Rhin s’est avancé au nord-ouest de Schaffhouse dans la région du Klettgau. Il en est de même pour les glaciers de l’Aar, Reuss et Linth qui, fusionnant, se sont étendus au nord de la vallée du Rhin entre les villes de Schaffhouse et Waldshut, bloquant ainsi l’écoulement de la Wutach (affluent du Rhin) formant ainsi un vaste lac proglaciaire.
Lors de cette avancée paroxysmale le glacier du Rhône déborde partiellement les hauts plateaux du Jura comme le suggère la présence de blocs erratiques de granite du Mont-Blanc à 1200 m d’altitude sur les flancs du Monthoz (Jura bernois). Ces blocs, datés par la mesure d’exposition des roches, présentent des âges de 170 000 ans. Il en est de même pour les blocs de granite du Mont-Blanc de la Sagne à proximité de la Chaux de Fond.
A l’ouest, à Lyon, le Riss Récent correspond à la « glaciation de Calluire / la Croix Rousse ». Les dépôts glaciaires en témoignent, c’est notamment le cas des crêtes morainiques qui bordent au sud le plateau de la Dombes et se prolongent par les moraines de Calluire et de la Croix Rousse. Elles forment un ensemble de moraines bien individualisées. A la Croix Rousse, sur la place du « Gros caillou, le célèbre bloc erratique de quartzite triasique (provenant de la Vanoise) témoigne de cette extension.
Le glacier vient une nouvelle fois en contact avec les reliefs de la rive droite de la Saône, un peu au nord de la colline de Fourvière, et provoque un dernier barrage glaciaire sur la Saône d’un niveau légèrement inférieur aux précédents (cote 190 m). Le lac de barrage est plus limité.
Plus au sud, le glacier isérois s’est avancé sur la pleine de Bièvre Valoire jusqu’à la Cote Saint André.
Durant cette période le Triève n’était pas totalement englacé, malgré la présence de la langue glaciaire diffluente du glacier de la Durance par le col Bayard qui se soudait avec les langues des glaciers du Drac, de la Séveraise et de la Bonne.
Le pléistocène récent
La glaciation du « Würm »
Le complexe des moraines internes
Depuis le sud des Alpes jusqu’au nord de la Suisse, le complexe des moraines internes est assez bien reconnu. On peut observer une série de cordons morainiques frontaux bien individualisés, surtout au nord de Grenoble.
Au nord de la Suisse, le glacier du Rhin s’est avancé jusqu’à Shaffhausen, à l’emplacement des chutes du Rhin. Au sortir des Alpes, le puissant glacier qui remplissait la cuvette de Constance débordait largement dans les vallées du sud de la Bavière. Dans l’une de ces vallées, s’écoule une rivière appelée la Würm ; depuis les travaux de Penck et Bruckner, son nom désigne maintenant la dernière période glaciaire.
Les chutes du Rhin – un héritage du dernier maximum glaciaire
Les glaciers quaternaires ont modifié profondément l’aspect du Plateau suisse en raison de l’action conjuguée de l’écoulement des glaces et des eaux de fusion. Un témoin particulièrement impressionnant des processus morphogéniques glaciaires est bien illustré par les chutes du Rhin près de Schaffhouse/Neuhausen, au nord de la Suisse.
Un ancien cours de rivière…
A – Avant la dernière glaciation: Le Rhin, venu du lac de Constance, en passant à Schaffhouse, est repoussé vers le sud par les couches denses de calcaire jurassien. Le fleuve creuse un sillon profond dans la roche.
Le glacier du Rhin progresse vers l’ouest, par-dessus l’ancien fleuve.
L’ancienne fosse du Rhin est entièrement comblée
B – par la moraine de fond pendant la dernière avancée du glacier du Rhin il y a 24 000 ans. Les eaux de fonte s’écoulent par différents torrents vers l’ouest, principalement en direction du Klettgau.
Le fleuve retrouve son ancien lit après le départ du glacier
C – Le recul du glacier du Rhin contraint le fleuve à creuser un nouvel itinéraire vers le sud. Il commence par s’encaisser dans les couches de gravier et dépôts morainiques.
Ce début d’érosion en profondeur est reconstitué au Musée Allerheiligen à Schaffhouse. A gauche de l’illustration, le Rhin retrouve son ancien lit près du coude de Schaffhouse. A droite, le Rhin, dans son nouveau lit, a atteint le socle rocheux et, à l’emplacement actuel des chutes, bascule dans l’ancien lit comblé par des graviers meubles.
La dernière glaciation, celle du « Würm », a commencé il y a 70 000 ans. On a coutume de diviser cette glaciation würmienne en deux périodes froides , le Pléniglaciaire inférieur (- 70 000 à – 50 000 ans) et le Pléniglaciaire supérieur (– 28 000 à – 16 000 ans), séparées par un interstade plus tempéré.
Le Pléniglaciaire inférieur, particulièrement froid et humide, a permis à la plupart des glaciers alpins d’atteindre leur plus grande extension. Le lobe glaciaire lyonnais s’est arrêté à 15 km de Lyon, ainsi qu’en témoignent les moraines frontales de Lagnieu et de Grenay. Une longue période d’interstades (période plus tempérée mais plus froide qu’un interglaciaire) suit cet épisode très froid, les glaciers abandonnant les piémonts et reculant dans les vallées. Le climat n’est cependant pas aussi tempéré qu’en période interglaciaire, comme aujourd’hui.
Il y a 30 000 ans, nouvelle péjoration climatique. Durant les dix millénaires qui suivent, les plus froids de la glaciation würmienne, les températures moyennes de l’Europe sont inférieures de 10 à 12 °C à celles que nous connaissons. Durant ce Pléniglaciaire supérieur, les glaciers des Alpes progressent une dernière fois sur les plaines de l’Est lyonnais.
La surface des glaciers alpins au maximum de la dernière glaciation atteignait environ 220 000 km².
Dans les Alpes, toutes les vallées étaient occupées par des glaciers qui recevaient l’apport en glace des appareils locaux. Durant les stades maxima, l’alimentation en glace était suffisante pour permettre aux grands appareils glaciaires réunis de s’étaler sur la région lyonnaise en un grand lobe, construisant ainsi l’amphithéâtre des moraines frontales de Grenay à 15 km de Lyon. On les suit depuis Lagnieu (au sud d’Ambérieu), Heyrieux, Grenay et la région du lac de Paladru jusqu’au front morainique du glacier de l’Isère dans l’ombilic de Voiron.
Reconstitution des flux glaciaires au Würm
Les travaux universitaires de Coutterand, (2007, 2010) appliqués aux reconstitutions paléogéographiques et à l’étude des flux glaciaires lors du maximum würmien apportent une interprétation nouvelle de l’organisation du réseau glaciaire dans les Alpes nord-occidentales.
Ce travail remet en cause la vision traditionnelle du glacier du Rhône atteignant le «complexe des moraines internes».
En effet, les analyses démontrent que la totalité des glaces du lobe de piémont lyonnais provenait des zones d’accumulation de la partie interne des Alpes du nord françaises : sud du massif du Mont-blanc, Beaufortin, Tarentaise et une partie de la Maurienne. De plus, elles confirment la puissance des appareils glaciaires ayant occupé les grandes cluses des massifs subalpins et soulignent le rôle essentiel des glaciers transversaux originaires de la zone centrale des Alpes dans l’alimentation du lobe de piémont lyonnais. Quant à l’alimentation du lobe de Moirans, les analyses pétrographiques et les comptages de minéraux lourds apportent la preuve d’une contribution majeure du glacier de la Romanche.
Cette étude souligne en outre la puissance des « icestreams » ayant occupé les grandes cluses des massifs subalpins (on peut qualifier ainsi ces couloirs évacuateurs des zones d’accumulation : cluse d’Annecy-Faverges et cluse de Chambéry) au maximum würmien. Ces glaciers transversaux originaires de la zone centrale des Alpes ont joué un rôle essentiel dans l’alimentation du lobe de piémont lyonnais. Le glacier isérois émettait une puissante langue glaciaire par la cluse de Chambéry, les diffluences du val de Couz, du col de l’Epine et du col du Chat étaient également à l’origine de l’alimentation du lobe lyonnais.
Le système glaciaire tout entier était drainé par de puissants fleuves de glace. En Autriche, le glacier de l’Inn, le plus vaste complexe glaciaire des Alpes, se déployait sur plus de 330 km jusqu’à Wasserburg près de Munich ; il nous a légué les lacs de Sils et Silvalpana en Haute Engadine. Le complexe lacustre de la Haute Angadine est hérité de l’ancien glacier de l’Inn. Ici, l’épaisseur de glace considérable a surcreusé de vastes cuvettes aujourd’hui occupées par les lacs. Sur le versant méridional des Alpes, le glacier de l’Adige drainait un immense territoire compris entre les Dolomites et le massif d’Adamello.
Le glacier de la Baltea et le lobe d’Ivrea au Pléistocène
Le glacier de la Baltea en débouchant sur la plaine du Pô a construit le plus volumineux amphithéâtre morainique des Alpes.
Sur ce versant oriental des Alpes, les glaciations quaternaire sont responsables de la morphogenèse, non seulement dans les secteurs montagneux les plus élevés, mais également dans les basses vallées et à leur débouché sur les plaines du Piémont. Les phases d’expansion maximales et les phases de retrait du glacier principal de la Baltea, puissant système dendritique, sont à l’origine de l’amphithéâtre morainique d’Ivrea (AMI).
L’AMI se développe avec une régularité étonnante, au front du débouché du Val d’Aoste, en un vaste arc de cercle externe de plus de 90 km sur une superficie d’environ 600 km2, dimensions qui lui valent d’être le 3e™ des amphithéâtres morainiques du versant italien des Alpes. Dans la littérature scientifique, l’AMI est interprété comme le produit de diverses pulsations glaciaires, qui ont donné naissance à trois groupes de moraines terminales (Carraro, 1992), qui sont, du plus externe au plus interne, les groupes de Borgo, de la Serra et de Bollengo. Ces groupes d’arcs morainiques présentent une structure complexe, due à la multiplicité des épisodes glaciaires et interstadiaires mais aussi interglaciaires responsables des phases de sédimentation et d’érosion.
Trois générations de cordons morainiques sont différenciées par leurs faciès d’altération (qui caractérise l’évolution des sols depuis la fonte du glacier). De l’extérieur vers l’intérieur de l’amphithéâtre, on reconnaît 3 groupes.
Le Groupe de Borgo
Groupe le plus externe et le plus ancien de l’AMI, il ne s’observe que sur le côté gauche de l’amphithéâtre. Les rapports stratigraphiques montrent que les plus anciens dépôts glaciaires reconnus dans le Groupe de Borgo sont contemporains des dépôts lacustres résultant du barrage du torrent Elvo par le glacier de la Dora Baltea. Des études sur le paléomagnétisme de ces derniers (Lanza et Zanella, in Carraro et al, 1991) ont montré que leur polarité inverse correspond à l’époque de Matuyama, c’est-à-dire au Pléistocène inférieur ; ces formations sont attribuées au Mindel.
Le Groupe de Serra
Son nom dérive de la Serra d’Ivrea, la forme la plus célèbre de l’amphithéâtre, composée de deux crêtes morainiques principales parallèles, qui présentent un profil longitudinal rectiligne caractéristique. La Serra d’Ivrea se développe sur la bordure gauche orographique de l’AMI sur une longueur de 18 km avec un commandement maximal de 600 m. Constituant la partie la plus interne d’un groupe de moraines, elle est exclusivement formée de dépôts glaciaires et glacigéniques et présente un profil d’altération moins épais (quelques mètres) et un indice de couleur des sols moins élevé que ceux des moraines plus externes. Les dépôts fluvio-glaciaires du Groupe de la Serra forment une série d’unités disposées en terrasse dans la partie interne de l’amphithéâtre et sur la plupart des cônes fluvio-glaciaires qui s’étendent de l’AMI jusqu’au Pô.
La position chronologique du Groupe de la Serra est un thème scientifique qui a été régulièrement l’objet de débats. Un consensus se dégage pour l’attribuer à l’avant-dernière glaciation, celle du Riss, aujourd’hui définie de manière plus correcte comme l’expansion glaciaire maximum du Pléistocène moyen.
Le Groupe de Bollengo
Les études menées dans le secteur d’Alice Superiore ont montré que les unités de dépôts glaciaires correspondant aux arcs morainiques les plus internes et récents reposent sur des surfaces modelées dans le substratum rocheux à une altitude progressivement plus basse. C’est en particulier le cas des dépôts du Groupe de Bollengo, qui représenterait le dernier épisode glaciaire du Pléistocène récent édifié durant la première partie du dernier cycle glaciaire : le Pléniglaciaire inférieur (-65 000 à -55 000 ans). Les dépôts fluvio-glaciaires du Groupe de Bollengo constituent une séquence de terrasses emboîtées dans les sédiments glaciaires et fluvio-glaciaires des groupes plus anciens.
Des dépôts lacustres contemporains du Groupe de Bollengo attestent d’un lac proglaciaire qui s’étendait entre le front du glacier et les arcs morainiques du Groupe de la Serra. Les lacs de Candia et Viverone sont les restes de ce paléolac, tandis que son émissaire s’écoulait par la dépression de la « Doire morte » qui se développe dans la direction nord-ouest – sud-est et qui est en partie empruntée par l’actuelle bretelle autoroutière Santhià-lvrea. Au maximum wurmien, le glacier de la Dora Baltea avait une longueur de 140 km jusqu’à son front de Caluso. L’ensemble des bassins versants des glaciers latéraux tributaires du glacier principal présentent tous des altitudes élevées générant ainsi de vastes zones d’accumulation.
Les zones d’accumulation étaient aussi alimentées par plusieurs diffluences : citons entre autres la diffluence des glaces valaisannes par le col du Grand Saint Bernard et la diffluence des vastes zones d’accumulation centrées sur le Plateau Rosa – Gornergratt (Kelly et al. 2004) depuis le Valais suisse.
Le glacier du Rhône
Se développant sur une longueur de près de 270 km, le glacier du Rhône, en débouchant sur la cuvette lémanique, s’étalait en une vaste nappe sur le plateau suisse, sur une largeur de plus de 50 km. Venant buter contre le flanc septentrional du Jura, il donnait alors naissance à deux gigantesques lobes (glacier de piémont interne). Le plus septentrional recouvrait l’emplacement des lacs de Bienne et de Neuchâtel ; c’est au nord-est de Soleure (Wangen) que l’on observe les moraines frontales de cette branche, tandis que l’on découvre dans les campagnes, près des villages du Steinhof et du Steinenberg, de gigantesques blocs erratiques de gneiss provenant des vals de Bagnes et de la vallée de Saas en Valais (gabros de l’Allalin). L’autre lobe, d’une importance égale, envahit la région lémanique puis le cours du Rhône, jusqu’au bassin de Belley. Dans le bassin de Genève, ce lobe remplissait une vaste cuvette limitée par le Jura au nord et le Salève au sud. Le flux bien canalisé entre les versants permet une très bonne localisation des moraines latérales. Sur les flancs du Jura, le glacier dépose des blocs de gneiss et de granite issus du Valais et du massif du Mont-Blanc à plus de 1000 m d’altitude.
En Valais, cet appareil est désigné sous le terme de « glacier de transection ». Dans la vallée de Conches (Goms), véritable cœur de la glaciation du Rhône, l’accumulation de neige et de glace formait un dôme (bien que cette hypothèse soit controversée) centré sur la région du col du Grimsel et du village de Gletsch. À la confluence des glaciers d’Aletsch et du Rhône, à la verticale de Brigue, la surface du glacier atteignait encore 2 600 m d’altitude. Une partie des glaces s’épanchait alors par le col du Simplon (2 040 m) ainsi que par les cols de Nufnen et d’Albrun, vers les grands appareils glaciaires italiens.
La présence de trois dômes glaciaires au centre de la Suisse a pu être envisagée à la suite des travaux de Rudy Florineth, thésard du professeur Christian Schlüchter, de l’Université de Berne ; leurs altitudes avoisinaient 3 000 m. Le plus oriental recouvrait la Haute Engadine, aux sources du glacier de l’Inn ; les deux autres dômes rayonnaient respectivement sur les hautes vallées du Rhin (Surselva) et du Rhône (val de Conches).
Dans les hautes vallées, les indices géomorphologiques se révèlent particulièrement bien préservés dans les roches dures des massifs cristallins (granite) comme le massif du Mont-Blanc et le massif de l’Aar.
Les traces de la dernière glaciation dans le massif du Mont-Blanc
Les limites atteintes par les glaciers sur la bordure des Alpes ont été définies, les moraines frontales en témoignent. Mais comment reconstituer les épaisseurs de glace dans la partie centrale des Alpes ?
Les formes d’érosion, et tout particulièrement les trimlines, permettent de reconstituer l’aspect de hauts reliefs du Valais et du Mont-Blanc au dernire maximum glaciaire. En amont de Chamonix, sur le village du Tour, l’épaisseur de glace était suffisante pour ennoyer la montagne de Balme et celle des Posettes. Les glaciers du Tour et d’Argentière s’écoulaient (diffluence) par les Cols des Montets et des Posettes. Ces deux glaciers alimentaient donc le glacier du Rhône par les Vallées de l’Eau Noire et du Trient.
Les stries (conglomérats du Permien) du sommet des Posettes démontrent que ce sommet était recouvert par le flux de glace et que l’écoulement se dirigeait vers le glacier du Rhône. Au nord du massif, les preuves d’une épaisseur de glace considérable nous sont fournies par la présence des blocs erratiques de granite du sommet de l’Arpille, abandonnés par le glacier du Trient à 2 080 m d’altitude.
Dans la périphérie du massif du Mont-Blanc, existaient quatre principales zones d’accumulation de glace : la haute vallée de l’Arve (altitude 2 600 m), le haut Val Montjoie, (altitude 2 400 m), le haut Val Ferret italien (altitude 2 800 m) et le haut Val Veni, (altitude 2 900 m). Dans le bassin de la Mer de Glace, l’épaisseur de glace était considérable : la surface du glacier atteignait 2 750 m d’altitude à la Tête du Couvercle, 2 700 m à la Tête de Trélaporte et 2 500 m aux Frêtes des Charmoz, au débouché du glacier dans la vallée de Chamonix. Le site de Chamonix était donc enseveli sous 1 500 m d’épaisseur de glace !
Toutes les traces d’érosion visibles au débouché de la Mer de Glace dans la vallée suggèrent que la surface du glacier a atteint 2500 m d’altitude sur l’emplacement de la ville de Chamonix, soit 1500 m d’épaisseur de glace, épaisseur à laquelle on doit ajouter 200 à 300 m de remplissage post-glaciaire du fond de vallée par les alluvions de l’Arve (aucunes mesures disponibles aujourd’hui).
PDF Coutterand et Buoncristiani (2006)
Les glaciers du Jura : Une calotte glaciaire
On a cru longtemps qu’au cours du dernier maximum glaciaire, le Jura était envahi par les glaces d’origine alpine. Des travaux récents montrent le contaire. Contrairement aux Alpes dont la topographie très élevée envoyait les appareils glaciaires dans les vallées, le Jura donna naissance à une calotte glaciaire locale, atteignant une altitude proche de 1 800 m. L’essentiel des flux s’écoulait vers l’ouest et la combe de l’Ain, où les moraines frontales sont bien préservées. On peut s’étonner de la présence d’une calotte glaciaire sur un massif montagneux d’aussi faible altitude. Mais la topographie a permis la conservation des névés dans les combes synclinales, puis l’accumulation de la glace a édifié peu à peu la calotte.
Pendant les glaciations du Pléistocène moyen (Riss), le Glacier du Rhône, dont la surface était plus élevée dans la cuvette lémanique (environ 1 400 m), a pris en tenaille la calotte jurassienne débordant au nord en direction d’Ornans et au sud en direction de Bourg en Bresse. Les flux glaciaires principaux s’écoulaient par les cluses de Nantua et des Hôpitaux, et l’épaisseur de glace importante ennoyait alors la plupart des sommets du sud Jura. La calotte jurassienne plus épaisse qu’au maximum würmien, atteignait l’altitude de 2000 m ; elle s’avançait jusqu’à la plaine Bressane comme en témoignent les quelques reliques morainiques de la région de Lons le Saunier.
Les Alpes au maximum de la glaciation du Würm
Cette carte du maximum d’extension glaciaire würmien des Alpes est une compilation de données publiées, issues des travaux scientifiques Autrichiens, Suisses et Français. Il faut garder à l’esprit que les extensions paroxysmales des différents appareils glaciaires (en particulier les lobes de piémont) n’ont pas été synchrones. Certains glaciers étaient en progression alors que d’autres étaient déjà en retrait. D’autre part, beaucoup de glaciers ont atteint leur maximum d’extension au MIS 4, d’autres au MIS 2.
Les glaciations de la Suisse
Le retrait des glaciers : « le stade des Lacs »
Après le maximum würmien, les grands appareils ont rapidement libéré les plaines du piémont en se retirant dans leurs vallées respectives ; mais les études récentes nous apportent les preuves d’un stationnement, voire d’une importante récurrence, le stade des lacs. Le glacier de la Linth s’avance alors à l’extrémité nord du lac de Zurich, laissant en héritage les collines de la vieille ville, et surtout le site bucolique de la vallée de la Sihl : la moraine du glacier empêche la Sihl de s’écouler vers le lac, et sur plusieurs dizaines de kilomètres, la rivière colle à la montagne parallèlement au lac. On peut aussi attribuer à cette période la construction des moraines frontales de la Balme de Sillingy au nord-ouest d’Annecy : une puissante langue, constituée par les glaces de la Tarentaise, de l’Arly et du Beaufortain, a pénétré dans la cluse d’Annecy-Faverges. Au retrait définitif de cette langue glaciaire apparaît le lac d’Annecy. Les données sédimentaires témoignent que la déglaciation de la cuvette a été très rapide, le lac étant libre de glace il y a 18 000 ans.
L’existence d’un stade du glacier du Rhône limité à la cuvette lémanique à la fin de la dernière glaciation n’est plus discutable. La langue glaciaire s’est avancée à l’emplacement de Genève, déposant la colline morainique de la vieille ville (moraine frontale), puis le glacier s’est retiré dans le Petit Lac, entre la rade de Genève et la région d’Yvoire. Lors de cette avancée glaciaire, le glacier de l’Arve ne confluait pas avec celui du Rhône ; la position de son front est matérialisée par un dispositif morainique visible entre la Roche-sur-Foron et Reignier, et par l’étonnante accumulation de blocs calcaires de la plaine des Rocailles.
L’âge de ce stade est bien documenté par de nombreuses datations issues notamment des travaux scientifiques d’Evian qui proposent des âges compris entre – 26 000 et – 22 000 ans..