LE PETIT ÂGE GLACIAIRE

Ce nom, adopté pour un épisode climatique d’abord étudié dans les Alpes, est pourtant né en Amérique. Au début du XXe siècle, le topographe américain François Émile Matthes (1874-1948), étudia en profondeur les dépôts glaciaires de la Sierra Nevada et s’intéressant aux petits glaciers encore existants, il identifia en aval de ceux-ci, une série de moraines bien conservées. Il baptisa cet épisode Little Ice Age,  » Petit Âge glaciaire ».

La courbe d’évolution des glaciers alpins permet de bien identifier les quatre maxima  du PAG entre 1350 et 185, d’après Maisch, université de Zurich.
La courbe d’évolution des glaciers alpins permet de bien identifier les quatre maxima  du PAG entre 1350 et 185, d’après Maisch, université de Zurich.

Le « Petit Âge Glaciaire. » (1350-1850 apr. J.-C.), en abrégé PAG, a été caractérisé par la plus importante récurrence glaciaire des temps post-glaciaires, avec quatre maxima : vers 1350, 1640, 1820 et 1850. Il est maintenant admis que les débuts du PAG correspondent à la dégradation climatique du XIVe siècle et cette période, d’une durée de cinq siècles, prend fin vers 1850-1860.

Cependant, certains auteurs comme le glaciologue Louis Reynaud†, le font commencer au milieu du XVIe siècle, avec la crue glaciaire catastrophique qui commence vers 1550. Si l’on suit ce dernier, le refroidissement du XIVe siècle serait un « mini Petit Âge Glaciaire. » indépendant.

Le PAG, période climatique froide qui a touché l’ensemble du globe, se caractérise par des avancées successives des glaciers, auxquelles correspondent plusieurs minima de températures moyennes très nets (1 à 1,5°C de moins qu’aujourd’hui). Le PAG succède à l’optimum climatique médiéval et se caractérise par des séries d’hivers froids et d’étés frais. Ce refroidissement général est probablement la conséquence d’une période de faible activité solaire, appelée minimum de Maunder. Les études récentes des Laboratoires de Glaciologie et Géophysique de l’Environnement de l’Université de Grenoble (LGGE) et de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich (ETHZ) nous éclairent sur les causes de ces avancées glaciaires. Elles suggèrent qu’elles seraient plutôt dues à une augmentation notable des précipitations, qu’à une baisse des températures. Ainsi, les crues glaciaires seraient la conséquence d’une hausse de plus de 25% des chutes de neige, tout particulièrement durant la première partie du PAG. Cette situation a généré des bilans de masse positifs et, en conséquence une importante progression des langues glaciaires.

Dans l’histoire des glaciers, le PAG revêt une importance exceptionnelle. D’une part, étant la plus récente, elle est de très loin la mieux documentée. Mais c’est vraisemblablement la plus importante avancée des glaciers depuis le début des temps post-glaciaires.

Les traces du PAG

Dans les Alpes, les traces du PAG sont généralement bien soulignées par les immenses moraines latérales bâties ou simplement rechargées à cette époque, ainsi que par quelques moraines frontales situées à l’aval. Alpinistes et randonneurs les connaissent bien : de nombreuses montées en refuge se déroulent, au moins en partie, en suivant leur fil.

Ce refroidissement a bien entendu un impact dramatique sur la société.

L’olivier, cultivé à Aoste au Moyen-Age, y est par la suite abandonné.  Surtout, les glaciers détruisent des canaux d’irrigation, les fameux « bisses » du Valais par exemple, des alpages, des mines, des villages même : Bonanay, le Chatelard, ou la Rosière dans la vallée de Chamonix, Tieffenmatten près de Zermatt.

La mort blanche dans le monde

Le froid s’abat sur la France

Les populations souffrent du froid, en 1693 et 1694, près de 1,7 millions de Français meurent, autant que durant la Première guerre mondiale.
Les 25 ans qui vont de 1690 à la mort de Louis XIV constituent la face sombre du règne du Roi Soleil. Les guerres s’enchaînent mais les pertes militaires ne sont rien à côté de la famine qui règne dans le pays.
Hivers glaciaux et étés pluvieux plongent la France dans le désarroi.  Paysans et pauvres se lancent sur les routes, mendiant et espérant trouver en ville de la nourriture. Pour ne pas mourir de faim, on cueille des glands et des fougères pour en faire une sorte de pain. Mais ces expédients achèvent de tuer une population déjà affaiblie. Les animaux meurent aussi car on ne peut plus les nourrir. Les charognes de chiens, de chevaux et autres animaux sont consommées malgré leur état avancé de putréfaction. Suicides et anthropophagie ne sont pas rares.

Durant l’été 1694, la chaleur accélère la décomposition des milliers de cadavres qui jonchent les routes. Des épidémies, dont la typhoïde, se propagent.

L’hiver de 1709-1710 est également resté dans les mémoires. Le vin a gelé jusque dans le verre du roi. Le froid atteint -25°C en campagne. Cet hiver a entraîné la mort de 200 000 à 300 000 personnes par le froid et la faim.

En Angleterre, la Tamise a été fréquemment prise par les glaces pendant ce refroidissement. A partir de 1608, on y organise les « fêtes de la glace » sur les eaux gelées. Mais, si en ville, les nobles et bourgeois s’en amusent, en campagne, les paysans meurent.

2 b  Peinture du 17e siècle représentant des Londoniens qui assistent à une "Fête de la glace"
2 b  Peinture du 17e siècle représentant des Londoniens qui assistent à une « Fête de la glace »

En Amérique du Nord, en 1816, la neige tomba en plein été. Plusieurs vagues de froid venant de l’Arctique firent d’énormes dégâts.
La même année, il faisait 26,7°C à Williamstown (Massachusetts) le 5 juin. Le 6 au matin, il ne faisait plus que 7,2°C et la température continua à chuter.
Le 7 juin, il neigea.

1816 est ainsi « l’année sans été ». : le début du XIXe siècle correspond approximativement à l’une des dernières grandes crue du PAG, cela non seulement dans les Alpes, mais aussi dans toute l’Europe. Dès 1913, un météorologue américain établit un rapport entre ce froid de 1816 et une série d’éruptions volcaniques, surtout celle du Tambora en Indonésie en 1815, la plus importante de l’histoire. On estime qu’elle éjecta près de 200 milliards de tonnes de cendres dans la haute atmosphère. La circulation de la poussière et des gaz entraîna dans le monde un changement climatique général, certes temporaire, le voile épais  arrêtant une partie des rayons du soleil. Depuis, on a pu avec précision montrer que de nombreuses éruptions ont provoqué des péjorations climatiques : ce fut le cas en 1 450 av. J.-C., où celle de Santorin entraîna une diminution de température estimée à 0,5°C. Plus près de nous, les éruptions du volcan Agung à Bali en 1963, de El Chichon en 1982 ou du Pinatubo en 1991 ont elles aussi entraîné des refroidissements bien identifiables.

Influence du Petit Age Glaciaire sur la qualité des violons

La qualité des célèbres violons Stradivarius fabriqués au XVIIe siècle devrait beaucoup… au climat !

En effet, en passant au scanner des violons de Crémone, de l’époque de Stradivarius, un médecin et un luthier, aux Etats-Unis, ont découvert une homogénéité particulière dans la densité du bois. Selon eux, elle expliquerait leurs qualités exceptionnelles et serait due au climat froid qui régnait à l’époque sur l’Europe.

http://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/homme-miracle-stradivarius-devrait-beaucoup-climat-16152/

Le célèbre luthier Antonio Stradivarius
Le célèbre luthier Antonio Stradivarius

Des catastrophes en série

Les catastrophes se succèdent. Car les glaciers ne font pas qu’envahir les pâturages, que détruire chapelles et villages. Ils provoquent aussi des débâcles glaciaires en bloquant une vallée. En 1595, le glacier de Giétro ravage la vallée de la Drance par une débâcle de son lac, faisant 140 victimes ; deux ans plus tard, la chute du glacier de Hohmatten, en Valais, fait 81 morts ; en 1633, la débâcle du lac de Mattmark, au-dessus de Saas-Fee, ravage la vallée jusqu’à Viège.

Aquarelles de Escher de la Linth, 1818 : lac de Mauvoisin et le cône du glacier du Giétroz dans le val de Bagne en 1818
Aquarelles de Escher de la Linth, 1818 : lac de Mauvoisin et le cône du glacier du Giétroz dans le val de Bagne en 1818

Sous la menace permanente des glaciers en crue, les populations des vallées se réfugient dans la foi. Malgré nombre de processions et de prières, les catastrophes se succèdent. Plus à l’est, dans les Alpes de l’Ötztal, le Vernagtferner est l’un des plus dangereux glaciers des Alpes. A plusieurs reprises, sa langue vient bloquer la vallée de la Rofen, formant un lac, le Rofensee, dont les débâcles sont catastrophiques (voir les risques et catastrophes glaciaires).

Toujours au Tyrol,  le Gurgler Ferner barre régulièrement le Langtal, formant ainsi le lac de Gurgl (Gurgler Eissee). Au cours de ses poussées répétées, l’émissaire du Langtaler Ferner, qui se jette d’ordinaire dans la Gurgler Ache, est arrêté par cette barrière de glace. Le Gurgler Eissee atteint à plusieurs reprises des dimensions inhabituelles, en 1716-1724 et 1770-1774 par exemple et au cours du maximum du milieu du XIXe siècle. Il se situe à 2360 m d’altitude, au confluent avec le Langtal. Bien que le lac se déversât sans dommage, en partie sous le glacier, en partie par débordement, il n’en est pas moins le motif de ferventes processions pour la population de la vallée, si souvent touchée par les débâcles du Rofensee. Les deux lacs glaciaires représentent une menace pour les habitants de l’Ötztal. Au début de l’été 1718, alors que le Gurgler Eissee atteint un niveau vraiment inquiétant, le charismatique  curé de Sölden, Jakob Kopp, conduit de nombreuses processions, destinées à éradiquer le maléfice. Il vient dire la messe tous les samedis sur le Steinerner Tisch (en bordure du lac), près du Hochwildehaus, sur le versant ouest du Schwarzenkamm. C’est de cette époque que date le millésime 1718 gravé dans la pierre.

Procession sur le Steinerner Tisch organisée à l'initiative du curé de Sölden au Gurgler Eissee en 1718.
Procession sur le Steinerner Tisch organisée à l’initiative du curé de Sölden au Gurgler Eissee en 1718.
Procession au glacier de Fiesch, peinture de Raphaël Ritz (1868)
Procession au glacier de Fiesch, peinture de Raphaël Ritz (1868)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les glaciers s’écroulent sans crier gare ; la chute du glacier de Hohmatten, dans la région du Simplon en Valais, fait 81 morts. En 1595, à Randa, au-dessous de Zermatt, le village est constamment menacé par les séracs du Bisgletscher descendant du Weisshorn. Le glacier du Giétro ravage le Val de Bagne par une débâcle de son lac, faisant 140 victimes ; deux ans plus tard, en 1633, la débâcle du glacier de Mattmark, au-dessus de Saas-Fee, ravage la vallée jusqu’à Viège. (voir les risques et catastrophes glaciaires) .

Dans le Valais, le lac de Märjelen, en bordure du glacier d’Aletsch, se vidange en 1813, 1820 et 1828. Dans le val d’Aoste, les débâcles du lac Sainte-Marguerite formé au front du glacier du Ruitor se reproduisent de 1594 à 1597 ; le duc de Savoie, Charles Emmanuel Ier, envoie des ingénieurs, mais les solutions qu’ils proposent, jugées trop coûteuses, ne sont pas mises en œuvre, et les débâcles continuent.

Dans le canton de Berne, terre protestante, on a également recours à l’exorcisme : c’est le cas en 1719 puis en 1777 à Grindelwald. En 1850 encore, on procèdera au bannissement des glaciers de Ried et de Gorner (Valais) lors de leur dernière grande avancée.

Les déboires du glacier des Bois

Dans la vallée de Chamonix, les grandes crues du glacier des Bois du début du XVIIe siècle sont bien documentées par les archives locales et l’évolution historique et la disparition des hameaux du Châtelard et de Bonanay sont pleines d’enseignements.

Le glacier des Bois
Le glacier des Bois
Grotte du glacier des Bois
Grotte du glacier des Bois

Destruction des hameaux du Châtelard et de Bonanay

Jusqu’en 1570, on achète encore des propriétés au Châtelard : la proximité du glacier inquiète encore peu. La situation se détériore rapidement  vers 1590-1600 ; beaucoup de dégâts sont signalés pour les terres cultivées. S’appuyant sur un rapport de Nicolas de Crans , commissaire de la Chambre des Comptes de Savoie, l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie démontre le début d’une importante crue glaciaire en 1600, qui culmine en 1610. Laissons parler à ce sujet Nicolas de Crans, , enquêteur à Chamonix, sur plaintes des habitants, en 1610. Evoquant les «exploits» du glacier (probablement ceux de 1600 – 1601), il écrit : »Vous avonsrecogneu les ruynés que tes glassiers et rivière «Arve ont faict au terroir dud Chamonyx en plusieurs endroictz mesme le glacier appelé des Bois (mer de Glace) quapporte eîfroig et espovente-ment aux regardants, lequel a ruyné une bonne partie du terroir et village entièrement du Chastellard, et emporté tout à faict ung aultre petit village appelé Bonnenuict ». Jusqu’en 1600, il y a toujours des signes de vie au Châtelard, mais la première catastrophe s’y produit probablement en 1601, avec la destruction partielle du hameau par l’avancée du glacier.

Lors d’un second voyage dans la vallée de Chamonix, Nicolas de Crans visite à nouveau le Châtelard en 1616 et en découvre les ruines : « seules six maisons délaissées par leurs propriétaires étaient encore debout, menacées par le glacier…dans lesquelles des habitants vivaient encore dans une grande pauvreté« . Il mentionne « deux lobes du glacier », ce qui signifie un débordement partiel sur la Côte du Piget.

Le hameau de Bonanay, édifié en 1458, a connu une destruction similaire. Ayant atteint une douzaine de maisons, il semblait en sécurité jusqu’à l’avancée du glacier des Bois qui déborde la Côte du Piget en 1600. Toujours selon le Roy Ladurie, personne ne semble en 1591 s’inquiéter de la présence du glacier qui domine déjà la Côte du Piget. Pourtant le village disparaît totalement en 1643 ; seul subsiste aujourd’hui dans le cadastre le toponyme « forêt de Bonanay ».

En 1606, Saint François de Salles lorsqu’il se rend à Chamonix, écrit à Jeanne de Chantal, de retour du « pays des glaces » où il a vu « des monts épouvantables, tout couverts d’une glace épaisse de dix à douze piques [16 à 20 m] ».

Devant la forte crue du glacier des Bois, d’août 1641 au printemps 1642, qui fait craindre qu’il ne barre l’Arve et provoque des inondations désastreuses, les Chamoniards montent en procession au glacier des Bois qui vient de détruire le hameau du Châtelard, en 1643.

De même en juin 1644, les paysans de Chamonix implorent l’aide des moines de la collégiale de Sallanches, dont ils dépendent :  » Nous Jean Deffoug, chanoine ouvrier de l’insigne collégiale de Saint-Jacques de Sallanches, certifions avoir fait faire diverses processions pour faire des bénédictions sur les glaciers, sur les prières qui nous en ont été faites par les communiers dudit Chamonix qui se doutent qu’il n’y ait des esprits aux dits glaciers, lesquels avançant par succession de temps contre les terres ont gâté des maisons et plusieurs possessions« .

Charles-Auguste de Sales est le neveu de Saint François. Coadjuteur de l’évêque de Genève, il se trouve à Sallanches lorsque se présentent devant lui Jean Deffoug, chanoine et administrateur du prieuré, assisté des syndics et conseillers de la même paroisse, qui lui dressent un sombre tableau de la vallée « montueuse, haute et estroitte, aupred de grands glaciers, lesquels se destachent pour descendent sur leurs terres avec de si grands abîmes pour ravages qu’à tous coups ils sont menasses de l’entière ruyne en leurs maisons et possessions« .

L’origine de cette menace ne fait aucun doute aux Chamoniards : Dieu veut les punir de leurs péchés. La présence du coadjuteur vient à point. Ce dernier s’émeut du triste sort des suppliants et accepte de visiter la paroisse. Il monte trois jours plus tard en compagnie du doyen de l’église de saint Jacques de Sallanches et de plusieurs autres ecclésiastiques.

Le lendemain de leur arrivée, ils célèbrent une messe en l’église de Chamonix dédiée à l’archange Saint Michel ; et après la prière, ils décident d’un jeûne public. S’en suivent les « processions générales« , probablement sur les chemins du bourg. Le même jour, Jean Deffoug conduit l’évêque et sa suite au village des Bois, menacé par le glacier éponyme.

La procession est suivie par environ trois cents personnes ; la solidarité montagnarde est éclatante. L’évêque est saisi d’effroi à la vue du « grand et espouvantable glacier poussé du hault de la montagne« , menaçant le village de ruine totale. Une fois la bénédiction du glacier faite, la troupe se rend dans le haut de la vallée pour bénir les glaciers d’Argentière et du Tour. Charles-Auguste de Sales n’oublie pas celui des Bossons, et même celui de Taconnaz. « Ce jourd’huy, nous aurions avec la mesme solennité bénit ung quattriesme et cinquiesme glacier au lieudict les Bossons« . Aucun glacier n’a été oublié ! Pouvoir de la foi ou non, la menace  semble s’éloigner peu à peu et le glacier reculer jusqu’en 1663, selon le glaciologue Mougin (1912).

Les extensions de la Mer de Glace entre le maximum du PAG (stade de 1643) et la position actuelle du front, (d’après Mougin et le LGG), localisation des hameaux du Chatelard et de Bonanay.
Les extensions de la Mer de Glace entre le maximum du PAG (stade de 1643) et la position actuelle du front, (d’après Mougin et le LGG), localisation des hameaux du Chatelard et de Bonanay. Reconstitution de l’évolution du hameau de Bonanay entre 1550 et 1643, dessins  de….  ©CNM, Sallanches
En 1820 le glacier des bois menace à nouveau les maisons du village des Bois
En 1820 le glacier des bois menace à nouveau les maisons du village des Bois

Le Petit Age Glaciaire voit également la naissance du tourisme et de l’intérêt pour les glaciers. Au Montenvers, en rive gauche de la Mer de Glace, la célèbre Pierre aux anglais, déposée sans doute lors des grandes crues de la Mer de Glace au XVIIe siècle, immortalise la visite et « l’invention » de la Mer de Glace par deux jeunes anglais, William Windham et Richard Pococke. En 1741, guidés par des chasseurs-cristalliers de Chamonix, ils découvrent la vallée glaciaire, prolongement amont du glacier des Bois.

Il sont impressionnés par ces « glacières » de Savoye, la description qu’en donne Windham restera dans les mémoires : « Il faut vous imaginer votre lac [celui de Genève] agité d’une grosse brise et gelé tout d’un coup. Encore ne sais-je si cela ferait précisément le même effet ».  De cette comparaison est née l’expression « Mer de glace », qui sera reprise, pratiquement dans les mêmes termes, d’un voyageur à l’autre. Cet événement marque le véritable début du tourisme alpin.

 

Richard Pococke
Richard Pococke
William Windham
William Windham

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les artistes et le Petit âge Glaciaire

Lithographies et peintures

Gabriel Loppé (1825 – 1913)

Photos

Glaciers : légendes et exorcismes

Dans son  « Itinera alpine »  Scheuchzer consacre un chapitre entier à décrire et dépeindre diverses rencontres avec ces créatures. Des histoires racontent des serpents avec des membres ou des visages presque humains, voire deux queues et deux langues, avec un corps recouvert d’écailles.

Selon certaines légendes, les dragons sortaient des glaciers sous la forme de serpents ailés.

Johann Jakob Scheuchzer
Johann Jakob Scheuchzer
L'ouvrage de Scheuchzer "Itinera alpine"
L’ouvrage de Scheuchzer « Itinera alpine »

 

Représentation du dragon par Scheuchzer (1708)
Représentation du dragon par Scheuchzer (1708)

 

Les calamités causées par les glaciers au début du PAG sont sans doute à l’origine de nombreux croyances et récits légendaires qui en expliquent, au moins symboliquement, les raisons. Derrière leur variété se manifeste une croyance que l’on peut résumer ainsi : à la suite de quelque faute ou malédiction, des alpages et des villages, hier prospères, ont été recouverts par les glaces ; le coupable est condamné à errer dans celles-ci, où il n’est pas rare d’entendre ses plaintes. D’une manière générale, l’Église chrétienne considère le glacier comme un lieu où l’on expie ses péchés (procession d’âmes en peine sur les glaciers, mythe du juif errant faisant progresser le glacier).

Ainsi sur le versant autrichien des Alpes de Berchtesgaden, prospère la légende de l’Ubergössene Alm, l’alpage englouti : là où n’existe plus qu’un champ de glace, les paysans vivaient jadis  dans l’aisance, avant que leurs malversations n’entraînent l’engloutissement de leurs pâturages.

Dans les Alpes vaudoises, les alpages verdoyants de Tsanfleuron, champ fleuri, auraient aussi été transformés en glacier pour punir un berger au cœur de pierre. Aux alpages de Ruitor, dans le val d’Aoste, le berger aurait refusé à Jésus déguisé en mendiant un bol de lait, répandant sur ses pieds le lait de ses chaudrons. Se répandant les pâturages, il se serait transformé en neige et glace.

Voilà pourquoi à la Blumlisalp, l’Alpage des fleurs, dans les Alpes bernoises, où hier les vaches donnaient du lait trois fois par jour, est aujourd’hui couvert de champs de neige étincelants.

Mais la plus célèbre de ces légendes est sans doute celle du Juif errant, popularisée par les frères Grimm dans leurs Légendes allemandes dès 1819 : « Le mont Matter [le glacier du Théodule], sous le Matterhorn en Valais, est un grand glacier duquel s’écoule la Vispa. Selon une légende populaire, une cité imposante y existait dans le temps. Le Juif errant y passa et dit : « quand je repasserai par ici il n’y aura rien d’autre que des troncs et des rochers là où vous voyez rues et maisons. Et quand mon chemin m’y amènera une troisième fois, il n’y aura plus rien d’autre que de la glace et de la neige. »

Grüner et Bourrit citent tous deux la légende suisse d’un village englouti par le glacier, dont ne se voit plus, à travers la glace, que le clocher doré, histoire dont un autre Suisse, Cosey, a fait l’un des ressorts de sa belle bande dessinée, À la recherche de Peter Pan.

La légende du mont Miné, en Valais puise dans cette même veine de la cité engloutie: « Autrefois, habitait au mont Miné un roi fort riche et très gai. Cependant un souci secret le tourmentait : on lui avait prédit que s’il trouvait un jour de la glace dans le bassin de la fontaine du château, il devrait s’enfuir au plus vite car ce serait là le signe que toute la contrée serait transformée en glacier. Depuis quelque temps, la fille du roi avait aperçu quelques glaçons dans la fontaine, mais n’en avait rien dit à son père. Un matin, à la vue du bassin complètement gelé elle alla, pleine de terreur, l’annoncer au roi. Celui-ci quitta immédiatement le château et ses terres et se dirigea du côté d’Évolène. Après une longue marche sans avoir osé regarder en arrière, il s’assit sur une pierre, plein d’inquiétude. Il regarda alors vers son petit royaume, mais quelle ne fut pas sa douleur en le voyant recouvert d’un immense glacier. Dès lors il vécut près de cette pierre sur laquelle il vint chaque jour s’asseoir et pleurer ses terres. Elle porte le nom de Chesal du Rey.« 

A Chamonix, la Mer de Glace n’échappe pas aux récits légendaires. Et celui des des fées est plutôt beau. À la place du glacier, s’étendait un riche pâturage, et les fées, habitant des grottes tapissées de cristaux étincelants, y jouaient avec des quilles d’or. « Cependant, les glaciers des Leschaux, de Talèfre et du Géant, alors encoignés tout en haut, se mirent à avancer, poussant leurs blanches murailles sur les prairies en fleurs. Les fées durent s’enfuir à la hâte, laissant sur place leurs jeux, aussitôt ensevelis, rabotés, dans les profondeurs. C’est pourquoi on trouve des paillettes d’or dans le torrent de l’Arveyron« .

Plus commune en revanche, la légende de la vieille mendiante : chassée à coups de pierres par les bergers à qui elle demandait l’aumône, la mendiante – en réalité une fée – s’enfuit en jetant sa malédiction. Le lendemain matin les prairies ont disparu sous la glace et le froid. Seule, une petite colline est épargnée : le Jardin de Talèfre, où fleurissent encore quelques fleurs de montagne.

La vieille Schmidja du glacier d’Aletsch

On voyait autrefois non loin du glacier d’Aletsch une petite maison en bois noircie par le temps. Habitait là la vieille Schmidja, une bonne et pieuse veuve, l’amie des âmes infortunées et de tous ceux qui avaient péri sur le glacier. Lorsque, pendant les longues nuits d’hiver, elle filait active et recueillie, une prière fervente montait de son coeur pour les pauvres âmes attirées par la lumière de sa lampe qui, chaque soir, se pressaient affolées et transies autour de son chalet, et dont elle reconnaissait la présence sous ses fenêtres à un bruissement mystérieux et plaintif. Bien plus, dans sa compassion, au moment d’aller se coucher, elle laissait la porte entrouverte pour que la dolente cohorte pût entrer et se chauffer à son feu. Ainsi consolées, les âmes repartaient au son de l’Angélus du matin. Quand Schmidja parvenue à un grand âge vint à mourir, les deux femmes qui l’avaient soignée virent tout à coup une vive lueur illuminer la maison ; et courant à la fenêtre, elles aperçurent comme une longue file de cierges qui cheminaient du côté du glacier, et s’éteignaient un à un aussitôt qu’ils y arrivaient. « Ce sont les pauvres âmes, firent-elles, qui accompagnent l’âme de leur amie, et lui rendent le feu qu’elle leur a prêté pendant sa vie. »

SUR LES TRACES DE L’EPOQUE GLACIAIRE 

Le glacier : sculpteur du paysage

Les paysages qui nous entourent, en particulier ceux des montagnes, ne sont pas le fruit du hasard ; leurs formes, étudiées par une science appelée la géomorphologie, découlent le plus souvent de processus complexes. Comme son nom l’indique, la géomorphologie est la science qui a pour objet la description et l’explication des formes du paysage actuel. C’est précisément le cas du « modelé glaciaire », qui a donné aux montagnes alpines comme à d’autres (Pyrénées, Écosse, Carpates, etc.), leur allure spécifique.

Les glaciers sont-ils capables d’érosion ? Question longtemps débattue par les scientifiques, mais la réponse est aujourd’hui sans ambigüité. En effet, la glace transporte des matériaux arrachés ou tombés dans son bassin d’alimentation, éléments de toute taille responsables de l’érosion du glacier. Parmi les formes d’érosion on distingue des formes globales et des formes secondaires appelées aussi micro-formes.

Les formes d’érosion globales

La vallée glaciaire

On sait qu’un glacier n’est pas en mesure, à lui seul, de donner naissance à une vallée : il peut seulement approfondir, élargir ou calibrer une vallée fluviale préexistante.

Les livres de géographie affirment bien souvent qu’une vallée glaciaire présente un profil en U, contrairement aux vallées fluviales qui ont un profil en V. Un tel profil théorique est pourtant rare. La vallée glaciaire du Rhône est loin de correspondre à ce modèle. En effet, la forme en U parfaite correspond au profil que creuserait un glacier ayant partout les mêmes vitesses dans une roche homogène. C’est notamment le cas de l’auge de la Mer de Glace (U à fond plat) taillée dans les granites dans sa zone appelée glacier du Tacul.

Initialement, un glacier envahit une vallée fluviale en V qu’il approfondit et arrondit le fond et les flancs : c’est l’auge glaciaire. Libéré de la glace, le fond de vallée est occupé par un profond lac qui devient le lieu de sédimentation d’alluvions formant une plaine, à Martigny en Suisse et à Sallanches par exemple. La forme en auge est bien préservée lorsque les vallées sont taillées dans des roches dures comme le granite.

Le profil en long d’une vallée glaciaire est encore plus remarquable. Lorsqu’un glacier de vallée se heurte à un obstacle constitué d’une roche suffisamment dure pour que l’érosion sous-glaciaire, malgré sa puissance, ne puisse le faire disparaître, il le façonne en un rétrécissement caractéristique, nommé verrou. En amont et en aval de celui-ci une dépression se forme : l’ombilic, lieu privilégié où le glacier a toujours élargi et creusé (on parle de surcreusement) sa vallée.

L’approfondissement de l’ombilic peut atteindre plusieurs centaines de mètres et quelquefois 1 000 m !

Ainsi, le Grésivaudan s’enfonce au niveau de Grenoble de 400 m sous le niveau de la mer ; au retrait du glacier de l’Isère, il y a 18 000 ans, un lac aussi grand que le Léman persista pendant quelques millénaires entre Moirans et Pontcharra, avant que les alluvions de l’Isère ne le comblent en totalité. A Martigny par exemple, le fond de l’auge est situé 1000 m sous la ville, autrement dit 600 m sous le niveau de la Mer

La vallée de l'Aar entre Innertkirchen et le lac de Brienz
La vallée de l’Aar entre Innertkirchen et le lac de Brienz
La  vallée du Rhône entre Martigny et le lac Léman, parfaite illustration d’une profonde vallée glaciaire comblée par les alluvions du Rhône
La  vallée du Rhône entre Martigny et le lac Léman, parfaite illustration d’une profonde vallée glaciaire comblée par les alluvions du Rhône

La présence d’ombilics, occupés par des lacs ou comblés d’alluvions, constitue la preuve irréfutable de l’érosion glaciaire : une rivière ne peut pas creuser une cuvette. De nos jours quelques ombilics sont encore occupés par des lacs qui sont parmi les plus beaux joyaux des Alpes, comme ceux du Bourget ou des Quatre Cantons (Suisse).

Certains verrous barrent complètement la vallée et sont seulement entaillés par la gorge d’écoulement du torrent : exemple les gorges de l’Arveyron au front de la mer de Glace. Les verrous sont des sites privilégiés pour la construction de barrages hydrauliques comme celui d’Émosson ou de Tignes.

Le lac des Quatre Cantons
Le lac des Quatre Cantons
Le Königssee dans le Sud-Est de la Bavière
Le Königssee dans le Sud-Est de la Bavière
Le lac de Silvaplana ; les lacs de la Haute Engadine occupent des cuvettes surcreusées par l'ancien glacier de l'Inn de la dernière période glaciaire ©F Amelot
Le lac de Silvaplana ; les lacs de la Haute Engadine occupent des cuvettes surcreusées par l’ancien glacier de l’Inn de la dernière période glaciaire ©F Amelot

L’incision des gorges à l’aval des glaciers

Le Verrou de st Maurice
Le Verrou de st Maurice @Exposition patrimoine glaciaire des Chablais

Les gorges situées à l’aval des fronts glaciaires, témoignent de la puissance de l’érosion par les eaux glaciaires, voire sous-glaciaires, chargées de sable et de graviers. La plupart d’entre elles, avant d’être extérieures, ont été recouvertes par les glaciers comme le suggère une campagne de sondages récents sous le glacier d’Argentière à l’aval des séracs de Lognan. Elle révèle la présence d’une gorge sous-glaciaire de près de 100 m de profondeur.

Ainsi, peut-on expliquer les incisions spectaculaires des gorges de la Diosaz, des gorges du Trient et de l’Arveyron encore recouvertes par la Mer de Glace il y a 100 ans.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les gorges de l’Arveyron, sont des gorges de raccordement entre le bassin de la mer de Glace et celui de l’Arve
Les gorges de l’Arveyron, sont des gorges de raccordement entre le bassin de la mer de Glace et celui de l’Arve

 

Les gorges de l'Aar en amont de Meiringen incisent le verrou calcaire du Kirchet
Les gorges de l’Aar en amont de Meiringen incisent le verrou calcaire du Kirchet

 

Les crêtes secondaires étaient parfois submergées par la glace et, lorsqu’un point bas (un col) se présentait sur une des rives du glacier, celui-ci se déchargeait, par ce passage, d’une partie de ses glaces, c’est ce que l’on appelle une diffluence. Le col des Montets constitue un bel exemple d’une diffluence empruntée par les glaciers du Tour et d’Argentière,  et aujourd’hui utilisé par une voie de communication majeure.

Les zones intermédiaires et basses des anciennes vallées glaciaires nous montrent une morphologie assez homogène de vallées en auge, aux versants raides. Un épaulement, constitué généralement de roches arrondies appelées roches moutonnées résulte du polissage des graviers et sables inclus dans la glace à la base du glacier. Les roches moutonnées ont été baptisées par Horace-Bénedict de Saussure, en 1786, par analogie avec la façon dont on « moutonnait » alors les perruques.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Coupe d’une vallée glaciaire typiquement en U dans les roches granitiques
Coupe d’une vallée glaciaire typiquement en U dans les roches granitiques

La zone de transition entre les roches moutonnées, polies par le glacier qui remplissait totalement sa vallée et le domaine supérieur, aux crêtes découpées, qui n’a jamais été atteinte par l’épaisseur du courant glaciaire est définie par le terme de « trimline« . La trimline est souvent bien visible dans le paysage et indique le niveau maximum atteint par le glacier ; le scientifique suisse Louis Agassiz écrivait : « Ces marques, sont aussi lisibles et claires pour celui qui est familier des traces glaciaires que les hiéroglyphes pour l’égyptologue ».

Rive gauche de la vallée glaciaire du glacier de l'Unteraar, la trimline reconstitue l’épaisseur de l'ancien glacier de l'Aar de la dernière glaciation.
Rive gauche de la vallée glaciaire du glacier de l’Unteraar, la trimline reconstitue l’épaisseur de l’ancien glacier de l’Aar de la dernière glaciation.
La trimline de l'aiguiller de Loria témoigne d'une surface du glacier atteignant 2450/2500 m sur Vallorcine
La trimline de l’aiguille de Loria témoigne d’une surface du glacier atteignant 2450/2500 m sur Vallorcine


 

Les formes d’érosion secondaires 

Les cannelures sont des dépressions allongées en forme de gouttière, dont la taille varie de 10 cm à 5 m de diamètre.

Les stries sont à classer dans les formes secondaires, de forme allongée, elles sont également appelées striures ou rainures. Présentes à la surface des roches moutonnées, elles sont produites par des fragments de roches inclus dans la glace basale.

 

L’action des eaux de fonte provenant de la surface du glacier engendre aussi des formes d’érosion typiques. Les marmites de géants forment des cavités circulaires, pouvant atteindre plusieurs mètres de diamètre. Elles sont creusées par le mouvement tourbillonnaire des sables et des galets transportés dans le courant d’eau à la base du glacier.

Quelles sont les vitesses de l’érosion glaciaire ?

Des recherches récentes appliquées à la Mer de Glace et au glacier des Bossons ont permis d’avancer une valeur moyenne de 1 mm par an (lit rocheux en granite), soit 2 km depuis 2 millions d’années !

Le glacier déménageur !

Plus encore que les traces d’érosion, les dépôts abandonnés par les glaciers témoignent  de leur passage.

Les matériaux, qu’ils proviennent de l’érosion glaciaire ou qu’ils soient amenés par des avalanches et des chutes de pierre, sont tous pris en charge par le glacier. Transportés à la surface, ils peuvent aussi, comme des alpinistes malchanceux, tomber dans une crevasse et être acheminés vers l’aval au sein même de la glace.

Les dépôts résultant de l’érosion glaciaire vont des plus volumineux blocs erratiques de plusieurs centaines de m3 aux très fines particules appelées farine glaciaire. En suspension dans l’eau, elle est responsable de la couleur laiteuse opaline caractéristique des torrents et des lacs glaciaires.

Les moraines

Reconstitution schématique de la construction d’une moraine latérale
Reconstitution schématique de la construction d’une moraine latérale

Le glacier abandonne de grandes quantités de matériaux sur sa bordure et à son front. Si le glacier se stabilise à la même cote pendant quelques années, les dépôts s’accumulent jusqu’à former de longues crêtes parallèles : les moraines latérales (en rive droite et en rive gauche) et une accumulation au front du glacier, la moraine frontale. La moraine du Lavancher en amont de Chamonix, marque une étape de retrait durant la déglaciation. Les replats qui séparent les moraines du versant sont parfois occupés par des villages : c’est le cas notamment du Lavancher.

Les moraines frontales forment donc des crêtes en forme d’amphithéâtre, auxquelles on a donné le nom de vallums morainiques, du latin signifiant « palissade ». Les plus « fraiches » datent du Petit Âge Glaciaire. Le superbe vallum boisé qui barre le val Ferret au débouché du vallon de Saleinaz a été déposé il y a 12000 ans. Sur le versant oriental des Alpes, au débouché de la Doire Baltée qui draine une partie des massifs du Mont-Blanc, des Alpes Pennines et du Grand Paradis, les glaciers issus du val d’Aoste ont édifié près d’Ivrée un gigantesque amphithéâtre morainique constitué par la moraine frontale de l’ancien glacier qui s’étendait dans la plaine du Pô sur plus de 400 km2

 

 

A. Lors de l’avancée du glacier les débris de surface (2) sont rejetés (3) sur les flancs de la moraine (1).

B. La glace fond  en été, le glacier ne domine plus la moraine.

C. Au cours de l’hiver suivant, le glacier reprend du volume et les débris de surface (2) entrainés par les eaux de fonte sont rejetés au printemps (4) sur les flancs de la moraine (1). D’où l’exhaussement de la moraine.    

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les blocs erratiques sont à l’origine de la théorie des glaciations. Dès le début du XIXe siècle les premiers scientifiques prirent conscience qu’ils témoignaient d’une lointaine période glaciaire.

Un bloc erratique : du latin : erraticos = qui erre, nom donné au bloc de rocher de composition souvent très différente des roches sur lesquelles il repose. Ces blocs, transportés par des glaciers,  peuvent être de taille très imposante, jusqu’à 2000 m3.

Leur composition prouve leur origine. Ils ont été bien souvent transportés sur des distances considérables, parfois plusieurs centaines de kilomètres. On peut mentionner en Suisse sur les flancs du Jura, les accumulations de blocs de granite du Mont-Blanc (la Matoulaz à 1100 m) au-dessus du Lac de Neuchâtel, la Pierre Brune de Rancé, volumineux bloc de granite du Mont-Blanc, près de Trévoux dans la Dombes ou encore le célèbre bloc erratique de la place du Gros Caillou à la Croix Rousse, à Lyon… (voir Quaternaire « les blocs erratiques »)

 

 

L’exploitation des blocs erratiques 

Au-delà de ces aspects scientifiques, les blocs erratiques ont également été utilisés au XIXe siècle pour la construction.

Au début de l’exploitation des blocs erratiques, ils étaient beaucoup plus nombreux qu’aujourd’hui et leur origine n’était pas clairement comprise. Le fait que des tonnes de roche de bonne qualité soient disponibles quasiment sur place, en plaine, sans nécessiter un transport difficile, a motivé les tailleurs de pierre.

Au pays du Mont-Blanc, à Combloux, les accumulations de blocs erratiques ont été le théâtre d’une exploitation qui a commencé au milieu du XIXe siècle. En effet, Charles-Albert,  roi de Piémont Sardaigne de la dynastie de la Maison de Savoie,  a fait venir du Piémont et de la région du lac Majeur, de la main d’œuvre qualifiée pour reconstruire Sallanches, incendiée en 1840. En 1938, une centaine de tailleurs de pierre œuvraient ainsi à Combloux, à Domancy et à Chamonix. On tirait de cette pierre des monuments funéraires, des bordures de trottoirs, des encadrements de portes et fenêtres, des bassins et des meules à moulin dont certaines ont été exportées jusqu’en Israël et en Algérie.

À Chamonix, le socle du monument aux morts de la Grande Guerre provient  de la Pierre d’Orthaz, à proximité du village des Praz.

Le Chablais valaisan est très riche en blocs erratiques granitiques dont quelques uns très volumineux ont été préservés en tant qu’éléments du patrimoine géologique. Les blocs erratiques on été systématiquement exploités dès le début du XIXe siècle.

A Monthey, les « graniteurs » italiens s’installèrent vers 1850. Ils maitrisaient la taille des roches dures. On découvre aujourd’hui cette roche dans de nombreux murs, bordures de trottoirs ou bâtiments de la ville à l’exemple des deux colonnes du péristyle de l’église de Monthey qui ont été taillées d’une seule pièce.

C’est en 1867 que le géologue Bernard Studer lance un Appel aux Suisses pour les engager à conserver les blocs erratiques, d’autant plus que dix blocs géants avaient déjà disparu alentour comme la Pierre à Milan, ou la Pierre aux Oreilles.

Alors que la Pierre des Marmettes à Monthey est en passe de subir le même sort, elle échappe de peu à la l’exploitation grâce à un vaste mouvement de sauvegarde.

Ce bloc erratique est le premier objet géologique valaisan protégé. Il a été racheté par souscription publique en 1908, puis donné à la Société helvétique des sciences naturelles

Quelques blocs, très volumineux ont réussi à être préservés comme patrimoine géologique évitant ainsi de finir leur errance en bordure de trottoirs, notamment genevois ou lyonnais.

Travaux d’approche en vue de l’exploitation de la Pierre des Marmettes en 1908 © le sentier didactique "Scène sur le parcours de l'eau", Le Vieux Monthey et Médiathèque Valais
Ce bloc de granit de 40 tonnes provenant de la Pierre d’Orthaz sert de piédestal au monument aux morts de Chamonix © Christine Burnier
Ce bloc de granit de 40 tonnes provenant de la Pierre d’Orthaz sert de piédestal au monument aux morts de Chamonix.
Travaux d’approche en vue de l’exploitation de la Pierre des Marmettes en 1908 © le sentier didactique « Scène sur le parcours de l’eau », Le Vieux Monthey et Médiathèque Valais

 

Les risques

Les risques d’origine glaciaire

Dès le début, l’observation des glaciers a été liée à l’étude et à la prévention des catastrophes glaciaires. L’étude approfondie des glaciers dits « dangereux » représente dans les Alpes, une des tâches importantes des glaciologues. Qu’ils soient en progression ou en retrait, les glaciers ont toujours représenté une menace naturelle pour les habitants des vallées situées en aval.

On peut cependant relativiser le risque glaciaire : sur une durée d’environ deux siècles (1800 – 2000), voire 400 ans pour la Suisse (1589-2000), le programme européen Glaciorisk (2001-2003, regroupant des labos français, italiens, suisses, autrichiens, islandais et norvégiens, a recensé 206 glaciers réputés dangereux (28 en France) et 672 accidents provoquant au total 721 morts (225 en France). C’est, au total, le bilan moyen d’environ 2 heures de la guerre de 14-18, une heure sur Omaha beach le 6 juin 44 ! Les glaciers ont fait chaque année, depuis Louis XIV, à peu près autant de morts que les loups !

On distingue en général deux sortes de catastrophes glaciaires. L’une (action directe) consiste en la rupture d’une partie du glacier, dont les fragments détruisent les agglomérations situées en aval. Dans le deuxième cas (action indirecte), la langue glaciaire en expansion, débouchant d’une vallée latérale dans la vallée principale, stoppe l’écoulement des eaux issues des bassins de réception supérieurs, et provoque la formation d’un lac dont la vidange brutale peut ensuite causer de terribles dégâts.

Lacs et débâcles

Les lacs de barrage glacio-morainique

Durant le Petit Age Glaciaire (1350-1850), les glaciers alpins ont fortement avancé et ont ainsi barré de nombreuses vallées. De même, à la fin de cette période, ils ont reculé, abandonnant devant eux leurs moraines frontales ; des lacs glaciaires se sont ainsi formés, retenus soit par le corps du glacier et sa moraine, lors d’une avancée, soit par les moraines abandonnées lors du recul.

Or ces barrages naturels formés de glace et de moraines sont fragiles, en raison de la pression de l’eau ; ils peuvent céder et l’eau inonder des vallées situées en aval. Ce type d’accident s’est produit à maintes reprises pendant le Petit Age Glaciaire, tout particulièrement en Suisse, aux glaciers du Giétroz (1595, 1818) et d’Allalin (1633, 1680, 1770), dans le Tyrol, où  le  Vernagtferner formait un lac aux débâcles dramatiques. Ce fut le cas en France, dans la vallée du Doron de Champagny, où le glacier de Lépenaz provoque, en 1818, la formation d’un lac dont la rupture cause des dégâts jusqu’à une quarantaine de kilomètres en aval.

Dans le val d’Aoste, en Italie, les débâcles du lac Sainte-Marguerite formé au front du glacier du Ruitor, se reproduisent de 1594 à 1597 ; le duc de Savoie, Charles Emmanuel Ier, envoie des ingénieurs, mais les solutions qu’ils proposent, jugées trop coûteuses, ne sont pas mises en œuvre, et les débâcles continuent.

La catastrophe du Giétro

La débâcle de Giétro est un cas école.  En 1595, le glacier du Giétro ravage la vallée de la Drance par une débâcle de son lac, faisant 140 victimes. Au printemps 1818, le haut val de Bagnes se trouve à la veille d’une catastrophe imminente. En effet, depuis une douzaine d’années (entre 1806 et 1818), le glacier du Giétroz est en crue

Débouchant sur un escarpement haut de 400 m, les séracs s’écroulent dans le fond du vallon où ils forment un « glacier régénéré » par l’accumulation des blocs. Le cône régulier n’avait cessé de grossir depuis plusieurs années, la Drance

parvenant toujours à s’écouler. Mais, en avril 1818, la Drance ne coule plus… Derrière, les eaux issues des glaciers du mont Durand, d’Otemma et du Breney s’accumulent, montant d’un mètre par jour. Or, pour comble de malheur, la vallée forme là un fond plat, dont l’étendue même multiplie la masse d’eau retenue par le barrage glaciaire. Et plus cette masse d’eau est importante, plus le barrage risque de se briser, puis de ravager la vallée…

Le val de Bagnes se souvient que le même phénomène s’était produit à plusieurs reprises dans le passé et ses glaciers avaient fait parler d’eux dès le VIe siècle. Celui de Giétroz, en particulier, avait acquis une triste réputation.

Ce glacier issu du Mont Blanc de Cheilon (3869 m) et de la Ruinette (3875 m) s’écoule vers le nord-ouest, puis vers l’ouest ; débouchant au-dessus de la vallée à l’étranglement de Mauvoisin, il s’arrête, à 2450 mètres d’altitude environ, sur le raide versant occidental du Mont Pleureur (3703 m). A chaque progression, il précipitait ses masses de glace dans la vallée par-dessus ce seuil. Les morceaux de glace détachés du front, que venaient renforcer les avalanches de neige, s’entassaient au pied d’un couloir très raide à 1700 m d’altitude. Il se formait donc à cet endroit une sorte de glacier régénéré, alimenté en permanence par les chutes de glace. De temps à autre, ce cône glaciaire prospérait au point de verrouiller la vallée comme un gigantesque bouchon et retenait la Drance de Bagnes.

La plus ancienne mention qui ait été faite d’une de ces inondations nous vient du chanoine Boccard, de l’évêché de Sion: la ville de Martigny ayant été inondée en l’année 580, le siège épiscopal fut transféré de Martigny à Sion. Une autre catastrophe due à une crue survint le 7 août 1549. Le 4 juin 1595, le barrage glaciaire du Giétroz céda de nouveau ; les flots dévastèrent les villages de la vallée et une partie de Martigny ; 150 personnes environ, dont la moitié dans cette dernière ville, trouvèrent la mort. Une nouvelle inondation, aux conséquences plus limitées, se produisit en septembre 1640.

Mais revenons aux évènements de 1818.

Hans Conrad Escher de la Linth nous livre un témoignage précieux: « En tout temps les eaux du glacier du Giétro tombent en cascade dans le couloir qui descend en pente très raide jusque dans la Drance, à l’extrémité supérieure de cet étranglement où se trouvait le pont Mauvoisin. Mais depuis quelques années le glacier du Giétro s’est tellement avancé sur la crête des rochers qui forment le bord supérieur de ce grand couloir, qu’il en tombe presque continuellement des masses énormes de glace… Déjà depuis cinq ans l’accumulation de ces glaçons tombés depuis le bord du glacier du Giétro jusque dans le lit de la Drance, a commencé à former un nouveau glacier… » En l’espace de douze ans (entre 1806 et 1818), elles ont formé un cône de glace régénéré de 1,7 millions de m3. En avril 1818, « on remarque que l’eau de la Dranse était retenue au fond de la vallée de Bagnes, et qu’elle y avait formé un lac d’une demie lieue de longueur. Le danger d’un écoulement subit de ce lac, dont la superficie s’élevait et s’étendait de jour en jour, était trop grand pour qu’on ne dût pas tenter tous les moyens possibles propres à prévenir une catastrophe« .

L’ingénieur Ignace Venetz est alors mandaté par l’état du Valais pour agir. Lorsqu’il arrive, en mai, le lac est déjà profond de soixante mètres et long de trois kilomètres : 27 millions de m3 d’eau sont prêtes à déferler, et la situation empire chaque jour ! Venetz agit dans l’urgence et dans des conditions difficiles. Il parvient à faire tailler une galerie horizontale, sous la menace constante des éboulements, par laquelle une partie de l’eau s’écoule bientôt.

Le lac commence à se vider: du 13 au 16 juin, son volume diminue de près d’un tiers. Mais sous l’effet de l’eau, la tranchée se creuse fortement, et les sédiments sur lesquels repose le cône de glace commencent à s’éroder. Le 16 juin 1818, à 16h30: « …le lac s’écoula tout à la fois ; la tranchée de glace qui se trouvait encore entre la galerie et le mont Mauvoisin se rompit, avec un fracas épouvantable, et la masse d’eau sortit avec une telle furie, par cette grande ouverture qu’elle avait forcée entre le glacier et le mont Mauvoisin, que dans une demi-heure le lac fut entièrement vidé, et les cinq cent trente millions de pieds cubes d’eau qu’il contenait, bondissant dans la vallée avec une étendue et une violence dont on ne peut se former l’idée, détruisirent tout sur leur passage« .

Les flots arrivent à Bagnes en quarante minutes, à Martigny en une heure et demie, puis la vague continue en direction de St-Maurice (atteint deux heures trente six après la rupture) et du Léman (six heures trente).

Venetz a fait de son mieux (sans lui le volume d’eau déchargé à la rupture aurait été trois fois plus important), mais la débâcle ravage la vallée jusqu’à Martigny, emporte les ponts, détruit les champs et fait tout de même une cinquantaine de morts, suscitant un élan de solidarité dans toute l’Europe.

Le val de Bagne à l’origine de la théorie glaciaire

Il se trouve qu’un des collaborateurs de Venetz n’est autre que Perraudin, qui lui fait les mêmes remarques qu’à Charpentier : « ayant depuis longtemps remarqué, lui dit-il, des marques ou entailles sur les rochers, toujours orientées comme la vallée, j’en ai conclu, après m’être approché des glaciers, qu’elles avaient été faites par la pression de ces masses glaciaires, dont j’ai trouvé les traces au moins jusqu’à Champsec. Cela me fait penser que les glaciers occupaient dans le passé la totalité du val de Bagnes ».  Perraudin est ainsi le premier à remarquer les stries glaciaires des roches moutonnées et à les interpréter correctement.

Ignace Venetz (1826)
Ignace Venetz (1826)

 

Jean-Pierre Perraudin
Jean-Pierre Perraudin

Le Vernagtferner et le Rofensee

Dans les  HYPERLINK « http://de.wikipedia.org/wiki/%C3%96tztaler_Alpen » \o « Alpes de l’Ötztal » Alpes de l’Ötztal où de nombreuses langues glaciaires barrent les vallées, le Vernagtferner est l’un des plus dangereux glaciers des Alpes.

La vallée de la Rofen  est le théâtre de débâcles mémorables en raison du barrage formé par la langue terminale du Vernagtferner qui vient obturer la vallée formant un lac, le Rofensee.

Pendant les 380 dernières années, quatre poussées d’une ampleur catastrophique marquent ainsi l’histoire du Vernagtferner et de son compère le Guslarferner.

Le Guslarferner et le Vernagtferner sont séparés l’un de l’autre par l’Hintergraslspitze. A chaque période de crue glaciaire, les deux glaciers se réunissent pour former une langue commune. Dans la phase finale de la poussée de 1845, la langue avançait en atteignant le fond de la vallée, à une vitesse de 12 m par jour !

Les deux langues restent même soudées du maximum de 1848 jusqu’en 1889, donc plus de quarante ans, puis se séparent de nouveau en régressant vers l’amont. La langue du Vernagtferner qui se termine aujourd’hui à 2 720 m d’altitude, a ainsi perdu environ 3,5 km en extension horizontale par rapport à son état maximal du XIXe siècle. Quatre avancées mémorables du Vernagtferner ont  barré le cours de la Rofen Ache : 1599-1601, 1677-1682, 1771-1774 et 1845-1848.

En 1848, la barrière de glace de la langue terminale atteignait encore une hauteur de 140 m sur le versant opposé du Rofental et mesurait 996 m de large. A chacune de ces poussées, se formait un grand lac de retenue. En 1600, ce lac mesurait 1250 m de longueur sur 350 m de largeur et 100 m de profondeur.  En 1772, la longueur du lac est estimée à 1400 m pour 350 de large.

Le 17 juillet 1678 une débâcle particulièrement dévastatrice se produit et dévaste tout l’Ötztal. Certaines parties de cette vallée, comme le rétrécissement entre Sölden et Huben, en deviennent inhabitables. Quant à la cause de la catastrophe, les autorités la trouvent rapidement en la personne d’un vagabond qui avait proféré des menaces peu avant à l’égard d’un paysan qui lui avait refusé l’hospitalité. Rendu responsable du désastre, il est arrêté, jugé sommairement et brûlé vif à Merano.

Ajoutons que les vidanges de la Rofensee n’étaient pas toujours catastrophiques, le lac s’écoulant souvent lentement sans causer de dommages aux localités situées en aval.

150 ans plus tard, le 14 juin 1845, alors que le lac atteignait une longueur de 850 m pour une largeur de 330 m au niveau de la digue de glace, le Rofensse se vide en 63 minutes et inonde tout l’Ôtztal : les flots furieux arrachent 18 ponts sur 21.

Carte Rofental 1846 de Michael Stotter 1846
Carte Rofental 1846 de Michael Stotter 1846

 

Dessin du Vernagtferner et le Rofensee en 1845
Dessin du Vernagtferner et le Rofensee en 1845

Toujours au  HYPERLINK « http://de.wikipedia.org/wiki/Tirol_(Bundesland) » \o « Tyrol (État) » Tyrol, le Gurgler Ferner barre régulièrement le Langtal formant ainsi le lac de Gurgl (Gurgler Eissee). Au cours de ses poussées répétées, l’émissaire du Langtaler Ferner, qui se jette d’ordinaire dans la Gurgler Ache, est arrêté par cette barrière de glace. Le Gurgler Eissee atteint à plusieurs reprises des dimensions inhabituelles, en 1716-1724 et 1770-1774 par exemple et au cours du maximum du milieu du XIXe siècle. Il se situe à 2360 m d’altitude, au confluent avec le Langtal. Bien que le lac se déversât sans dommage, en partie sous le glacier, en partie par débordement, il n’en est pas moins le motif de ferventes processions pour la population de la vallée, si souvent touchée par les débâcles du Rofensee. Les deux lacs glaciaires représentent une menace pour les habitants de l’Ötztal. Au début de l’été 1718, alors que le Gurgler Eissee atteint un niveau vraiment inquiétant, le charismatique  curé de Sölden, Jakob Kopp, conduit de nombreuses processions, destinées à éradiquer le maléfice. Il vient dire la messe tous les samedis sur le Steinerner Tisch (en bordure du lac), près du Hochwildehaus, sur le versant ouest du Schwarzenkamm. C’est de cette époque que date le millésime 1718 gravé dans la pierre.

Le Gurgler Eissee.
Le Gurgler Eissee.
Procession sur le Steinerner Tisch conduite à l'initiative du curé de Sölden au Gurgler Eissee en 1718.
Procession sur le Steinerner Tisch conduite à l’initiative du curé de Sölden au Gurgler Eissee en 1718.

Le glacier de l’Allalin et les catastrophes du Mattmark

Le glacier de l’Allalin est le seul glacier alpin qui soit à l’origine de deux types de catastrophes (débâcles et rupture d’une langue glaciaire), qui ont causé bien des malheurs à la population de la vallée de Saas,

Au Petit Age Glaciaire, le glacier de l’Allalin barre la haute vallée de Saas. Les eaux de fonte issues du fond de la vallée, sont ainsi retenues à Mattmark, par le barrage glacio-morainique, derrière lequel elles forment un lac. Les eaux parviennent à se frayer une voie à travers l’obstacle mais le percent brusquement quand celui-ci ne peut plus résister à leur pression.

Parmi les débâcles du lac de Mattmark, la plus ancienne connue ravage en 1633 toute la vallée jusqu’à Saas Grund, emportant même 18 maisons à Viège, distante de 33 km. Elle contraint de nombreux habitants de la région, ruinés, à émigrer. La débâcle suivante eut lieu en 1680 ; le lac arriva cette fois jusqu’aux chalets de la Distelalp (aujourd’hui submergée par le lac artificiel), et la vallée fut de nouveau dévastée, ce qui incita les habitants à formuler un vœu : ils promirent de renoncer au jeu et à la danse pour 40 ans.

Mais cela ne suffit pas : au total, pour le seul XVIIIe siècle, on a connaissance de quinze débâcles. En 1740, les quarante années pieuses étaient depuis peu écoulées, une vague gigantesque arrache tous les ponts de la vallée de Saas à l’exception d’un seul. Puis en 1772, Zurbriggen, chroniqueur de l’époque mentionne: « Anno Domini 1772, le 17e du mois d’automne, après qu’il eut plu à maintes reprises, le lac de Mattmark s’est vidé encore une fois par un jour de beau soleil. L’eau est montée partout, a rempli tout d’une montagne à l’autre. Personne n’a su que le lac venait ; les ponts, les murs et les maisons sont tombés comme fétus de paille et l’on a vu ainsi dévaster les biens que les laves avaient épargnés. Dans l’église, l’eau a dépassé la plus haute marche du grand autel… » Au XIXe siècle, on essaya plusieurs fois de prévenir ces menaçantes débâcles, par exemple en 1834 en creusant à la dynamite une galerie dans la glace. Mais alors qu’au glacier du Giétro, la même intervention s’était soldée par une véritable catastrophe, l’ingénieur cantonal Venetz obtint ici le résultat escompté : l’abaissement du niveau du lac.

Cartes des extensions successives du lac de Mattmark
Cartes des extensions successives du lac de Mattmark

Au XXe siècle, l’histoire continue, plus ou moins tragiquement. De 1917 à 1924, le glacier de l’Allalin avance encore une fois jusque dans la vallée, recouvrant même temporairement la Viège et arrivant une fois de plus jusqu’au piton rocheux appelé Auf der Schanz, sur le versant opposé de la vallée. Dès qu’ils voient monter le niveau du lac, les habitants dressent des croix dans le but d’inciter les fidèles à la prière, sur un emplacement appelé pour cette raison la Chrizegge (le coin de la croix).

Par mesure de précaution, une galerie est de nouveau percée dans le rocher pour servir d’exutoire artificiel, avec succès.

 

   

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Autres causes autres catastrophes

Au début des années 1960, la construction du barrage du Mattmark commence, les moraines de l’ancien glacier fournissent le matériau de base nécessaire à la construction de la digue. Les baraquements des ouvriers sont fort logiquement placés à proximité du chantier et en dehors du tracé des avalanches de neige de l’hiver.

Mais au soir du 30 août 1965, à l’heure du changement d’équipe, une formidable masse de séracs de plus de 1 millions de m3 se détache du glacier de l’Allalin qui domine les installations du chantier. Le vent de l’avalanche souffle les logements aussitôt recouverts par plus de 20 m de glace. On relèvera 88 victimes, ouvriers, techniciens et ingénieurs.

Mattmark, le 30 août 1965

Les glaciologues de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich ont, bien sûr, analysé ce tragique événement pour en tirer la leçon : les origines d’une telle catastrophe peuvent être multiples. Parmi les points clés figurent d’abord la topographie et la masse du glacier. Avant l’accident, la langue terminale du glacier de l’Allalin s’appuyait sur un replat rocheux. Le glacier était donc en équilibre, entre son poids, la force de frottement sur le lit et les appuis qu’il trouvait sur cette plate-forme et sur ses marges. Si l’un de ces éléments vient à se modifier, la rupture de cet équilibre fragile déclenche l’avalanche de glace.

Achevé en 1967, le barrage de Mattmark ferme désormais cette partie supérieure de la vallée : il a remplacé de façon beaucoup plus sûre l’ancien barrage glaciaire. La disposition de la digue, haute de 120 m et longue de 780 m, l’une des plus volumineuse des Alpes, permettrait une nouvelle et forte extension du glacier si celle-ci venait à se reproduire.

https://www.letemps.ch/suisse/2015/08/28/sacrifies-mattmark-ont-change-suisse

Remarque : les catastrophes se répètent, parce que les glaciers retrouvent tôt ou tard leurs positions antérieures et ainsi reviennent à l’état d’instabilité.

Les récit des contemporains de ces catastrophes, de celle du Giétro entre autres, met bien en évidence une caractéristique importante de la vidange d’un lac glaciaire, qui concourt à sa brutalité: l’écoulement de l’eau érode très rapidement la glace. Les dimensions du canal augmentent de manière importante et la vidange devient catastrophique.

Le glacier d’Altesch et le lac de Märjelen

C’était un des plus beaux lacs glaciaires des Alpes. Situé en rive gauche dans un vallon secondaire entre le Strahlhorn et l’Eggishorn, son extension est aujourd’hui des plus réduites ; on a peine à imaginer les dangers directement liés au volume qu’il représentait jadis.

18 Le lac de Märjelen en 1976

En 1878 le glacier, encore proche de son maximum du Petit Age Glaciaire, présentait une épaisseur supérieure d’une centaine de mètres, le lac atteignait  80 m de profondeur sur  une longueur de 1700 m ; son volume, estimé à 11 millions de m3, inspirait alors la peur et l’angoisse aux populations locales. Il suffisait d’un violent orage pour que ses eaux débordent du côté du Fieschertal. Les habitants organisaient régulièrement des processions pour exorciser ces terribles menaces. Les débâcles  du lac côté glacier étaient tout autant redoutées. Quand la muraille de glace ne pouvait plus résister à la pression de l’eau, le lac se vidangeait par les torrents sous glaciaires, faisant déborder jusque dans la vallée du Rhône le torrent émissaire du glacier. L’énorme pression de la masse d’eau qui s’insinuait dans le réseau hydrographique sous glaciaire faisait jaillir depuis le fond des crevasses des colonnes d’eau atteignant parfois près de 100 m de hauteur. 19 débâcles se produisirent entre 1813 et 1900.

Le lac de Märjelen en 1840
Le lac de Märjelen en 1840
Le lac de Märjelen vers 1855
Le lac de Märjelen vers 1855
Le lac de Märjelen vers 1870
Le lac de Märjelen vers 1870
Chenal creusé à la surface du glacier pendant une vidange du lac de Märjelen
Chenal creusé à la surface du glacier pendant une vidange du lac de Märjelen

 

Au cours des siècles passés, et surtout depuis le début du petit âge glaciaire, le glacier d’Aletsch était devenu un objet de crainte et de haine pour les Valaisans. Les habitants de Natter attribuaient la responsabilité de ces désastres au fameux « Rollibok »,sorte de bouc géant aux colères redoutables (voir « glacier d’Aletsch »). Le spectacle d’une rupture du lac de Märjelen était effectivement propre à impressionner les esprits.

Les risques aujourd’hui

Depuis plus d’un siècle, les glaciers sont en recul. La majeure partie des lacs glaciaires actuels sont donc retenus par des barrages morainiques et non de glace.

Mais le risque de débâcle n’en demeure pas moins fréquent dans les Alpes. En effet, le retrait des langues glaciaires a provoqué la formation de nombreux petits lacs derrière les moraines marquant les anciennes extensions. C’est notamment le cas des deux minuscules lacs pro-glaciaires de la Mer de Glace, apparus entre 1998 et 2001 à l’intérieur des moraines frontales  édifiées au cours de la dernière crue qu’ait connu ce glacier entre 1970 et 1993.

Actuellement, il est possible d’anticiper et de se protéger de ces risques, comme cela a été fait pour le glacier d’Arsine, dans le massif des Écrins, par pompage des eaux du lac.

Les deux lacs pro-glaciaires de la Mer de Glace apparus entre 1998 et 2001.
Les deux lacs pro-glaciaires de la Mer de Glace apparus entre 1998 et 2001.

Les lacs de verrous glaciaires : ils apparaissent à l’arrière de verrous rocheux, dans les cuvettes libérées par le glacier. C’est le cas du glacier du Rhône, dans le Valais suisse. La  rupture du barrage formé par le lit rocheux n’est alors pas à craindre.

Lac du glacier du Rhône en 2015,  retenu par un verrou rocheux
Lac du glacier du Rhône en 2015,  retenu par un verrou rocheux
Lac du glacier du Rhône
Lac du glacier du Rhône

Les lacs supra-glaciaires se forment en surface, à la jonction de deux glaciers:  par exemple le lac du Gorner. Le Gornersee, se forme annuellement au printemps et se vidange en été. Chaque année 1,5 millions de m3  d’eau de fonte l’alimentent. Au cours du siècle passé, les vidanges ont atteint des débits de 100 m3 /s, causant régulièrement des dégâts dans la vallée de Zermatt.

Lac supra-glaciaire du Gorner en 2006
Lac supra-glaciaire du Gorner en 2006
Lac supra-glaciaire du Gorner en 2006
Lac supra-glaciaire du Gorner en 2006

Un autre exemple en est le lac du glacier du Belvédère (Piémont, Italie) vidangé artificiellement en 2002.

Rupture de poches d’eau

Reconstitution schématiques de poches d’eau sub-glaciaire et intra-glaciaire © d’après LGGE

Reconstitution schématique de poches d’eau sub-glaciaire et intra-glaciaire © d’après LGGELe troisième type de risque naturel d’origine glaciaire est la rupture de poches d’eau, probablement les plus dangereuses car indécelables de l’extérieur. Leurs ruptures causent des catastrophes souvent meurtrières du fait de leur soudaineté, de leur imprévisibilité, et du volume des laves torrentielles qu’elles engendrent.

Les poches d’eau glaciaires peuvent être soit intra-glaciaires, c’est-à-dire situées dans l’épaisseur même du glacier, soit sub-glaciaires, c’est-à-dire situées entre le glacier et le lit rocheux. Les mécanismes qui conduisent à la formation et à la rupture de ces poches d’eau glaciaires sont encore mal connus. Toutefois, il semblerait que les poches d’eau sub-glaciaires se forment souvent au niveau d’un ressaut du socle rocheux, à la base même du glacier.

Dans les Alpes, on recense plusieurs événements de ce type (glacier de Trient, 1911, 1930, 1942, 1960, glacier de Tête-Rousse, 1892). Aujourd’hui, en raison de la nature indétectable des poches d’eau, les glaciologues ne sont pas en mesure d’envisager des moyens de prévention ou de surveillance adaptés.

 

 

 

 

 

 

Le glacier de Tête Rousse et la catastrophe de 1895

Petit frère du glacier de Bionnassay, situé au pied de l’aiguille du Goûter, dans le massif du Mont-Blanc, le petit glacier de Tête Rousse (9 ha) est bordé par le refuge du même nom, étape incontournable sur la voie normale d’ascension du Mont-Blanc. Si à la fin du XIXe siècle ce petit glacier était encore en pleine santé, son nom est maintenant associé à l’histoire des grandes catastrophes glaciaires alpines.

Une poche d’eau d’environ 90 000 m3, formée sur le lit du glacier par stockage des eaux de fusion glaciaire, est à l’origine de la catastrophe de 1895. La pression exercée par cette nappe d’eau sous-glaciaire et intra-glaciaire est telle qu’elle fait exploser la cloison de glace faisant office de barrage. 90 000 m3 d’eau et de 110 000 m3 de glace brusquement libérés déferlent dans le vallon des Rognes à très grande vitesse et se transforment en une lave torrentielle, arrachant blocs et moraines sur son passage. Dévalant le long du flanc externe de la moraine latérale droite du glacier de Bionnassay, elle entraîne un troupeau de bovins, sous l’œil stupéfait de son jeune berger qui passait la nuit au chalet de l’Are. Puis le flot se concentre dans la gorge étroite. À cet endroit, le volume de la lave torrentielle avoisine les 600 000 m3. Le hameau de Bionnay, situé sur la trajectoire, est en grande partie enseveli. Le flot dévastateur remplit la gorge du Bon-Nant, d’où il débouche, trente minutes après son départ. Il épargne le village de Saint Gervais, construit au-dessus de la gorge du Bon Nant, mais rase les bâtiments du centre thermal. C’est au tour du hameau du Fayet de subir l’assaut du raz-de-marée boueux dans lequel  une dizaine d’habitations disparaissent. Au final, 175 personnes perdent la vie.

Des glaciologues et hydrologues, tels Vallot et Mougin, dépêchés sur les lieux constatent la formation d’un puits de 50 m de profondeur, suite à l’effondrement de la voûte de glace perchée au-dessus de la poche d’eau.

La direction du Service des Eaux et Forêts effectua des recherches au glacier de Tête Rousse, afin de comprendre la cause du drame, pour éviter que pareille catastrophe ne se reproduise et assurer la vidange permanente des eaux de fusion glaciaire.

Le puits à la surface du glacier de Tête-Rousse, correspondant à l’effondrement de la voûte de glace située au-dessus de la poche d’eau ©Gay Couttet
Le puits à la surface du glacier de Tête-Rousse, correspondant à l’effondrement de la voûte de glace située au-dessus de la poche d’eau ©Gay Couttet
cavité inférieure, exutoire de la poche d'eau
cavité inférieure, exutoire de la poche d’eau
Le plan de l'Are ravagé par la lave torrentielle
Le plan de l’Are ravagé par la lave torrentielle
Schéma de Joseph Vallot
Schéma de Joseph Vallot

En 2008, une étude réalisée par le LGGE révéla de nouveau la présence d’une poche d’eau sous pression, d’un volume proche de 65 000 m3, dans une cavité sub-glaciaire. Après confirmation par forage en juin et juillet 2010, les autorités publiques décidèrent de procéder à des opérations de pompage et de vidange du lac, entre août et octobre 2010. Depuis, ce glacier est sous haute surveillance et la poche d’eau a été vidangée à plusieurs reprises, en octobre 2011, puis en octobre 2012. Des solutions à long terme sont aujourd’hui à l’étude pour éviter ces pompages annuels.

Opération de pompage au glacier de Tête Rousse (été 2010)
Opération de pompage au glacier de Tête Rousse (été 2010)

Les crues catastrophiques ou « surges »

Il existe un phénomène glaciaire atypique : les surges glaciaires des auteurs anglo-saxons, parfois traduit par « foirage ». Le terme signifie littéralement poussée, augmentation. Il s’agît d’une accélération brutale de la vitesse d’écoulement d’un glacier jusqu’à 100 fois sa vitesse normale

Ce type de déplacement semble lié au fonctionnement complexe du réseau hydraulique glaciaire qui contrôle un phénomène encore mal compris :

Les raisons de ces crues ne sont pas claires. Il ne s’agit pas d’une cause purement climatique, des glaciers en surge pouvant côtoyer des glaciers « normaux » dans une même région. La périodicité semble caractériser le phénomène. Selon le glaciologue Amédé Zryd, « Il est probable que la phase de crue se déclenche lorsque la fonte augmente la pression dans un réseau hydraulique bouché par l’hiver et favorise le glissement. La crue se termine par un relâchement de l’eau lorsque le réseau s’est reformé ».

Tant aux glaciers de l’Alaska qu’à ceux de l’archipel canadien, des valeurs de 7 km en moins d’une année ont été signalées. En 1953, le glacier de Kutiak, dans le Karakorum, progressa de 12 km en trois mois. Des mouvements d’une telle rapidité ne sont pas connus actuellement dans les glaciers alpins, mais ils pourraient être à l’origine de la formation de lacs de barrages glaciaires dans plusieurs vallées des Alpes lors des grandes avancées du Petit Age Glaciaire. A ce titre, les avancées catastrophiques du Vernagtferner dans l’Ötztal ont été interprétées comme des surges.

L’avancée exceptionnellement rapide du glacier de Findelen en 1980 (84 m en une année) est un exemple.

Au cours de l’hiver 1979-1980, une zone de cisaillement en bordure de la langue glaciaire apparut sur sa rive droite, révélant des mouvements très rapides. Des vitesses d’avance allant jusqu’à 2 cm/h, deux km en amont du front, furent mesurées au centre du glacier. Ce phénomène éveilla l’intérêt des glaciologues qui étudièrent ce glacier de manière intensive. Par la suite, à partir de 1986, le glacier de Findelen reprit sa « marche en arrière ».

Glacier de Findelen, vue d'ensemble en été 2015.  Les moraines du Petit Age Glaciaire marquent bien le maximum d'extension du glacier au XIXe siècle.
Glacier de Findelen, vue d’ensemble en été 2015.  Les moraines du Petit Age Glaciaire marquent bien le maximum d’extension du glacier au XIXe siècle.
Zone de cisaillement affectant la bordure de la langue glaciaire en 1980.
Zone de cisaillement affectant la bordure de la langue glaciaire en 1980.

Ruptures de langues glaciaires

Il existe également d’autres types de risques naturels liés aux glaciers, tout aussi imprévisibles, par exemple, les chutes de séracs, c’est-à-dire le détachement de blocs de glace individualisés du reste du glacier. Une pente de 45° semble représenter l’une des limites de la stabilité des glaciers froids suspendus, qui sont retenus par le gel sur leur lit rocheux fortement incliné. Dans leur chute, ces blocs se fracturent en morceaux de plus en plus petits et dévastent tout sur leur passage, un peu comme une avalanche. Les exemples en sont nombreux dans les Alpes, telle l’avalanche de glace du Weisshorn.

La face nord-est du Weisshorn et le Bisgletscher
La face nord-est du Weisshorn et le Bisgletscher

Dans le Mattertal (Valais, Suisse), le glacier suspendu de la face est du Weisshorn et les séracs du Bisgletscher menacent ainsi le village de Randa à intervalles réguliers : depuis 1636, les chutes de glace ont causé un total de 51 morts en déclenchant 19 avalanches.

Celle de 1693 ravage ainsi le village et fait 37 victimes ; celle de 1720, 12 ; seize ans plus tard, l’avalanche emporte 140 bâtiments. Le 27 décembre 1819, un éboulement de glace au sommet du Weisshorn (4506 m) déclenche sur le glacier de Bis une énorme avalanche de neige d’un volume de 13 millions de m3, 113 édifices sont emportés et deux hommes tués.

En septembre 1972: Alarme ! Une nouvelle catastrophe glaciaire semble imminente. Une immense crevasse de 250 m de long et de 30 m de large coupe la voie d’accès normale au sommet du Weisshorn. Pour juger de la situation, on mesure la vitesse du mouvement de la glace.

Installée sur le Bishorn à 4134 m, une caméra automatique photographie trois fois par jour le glacier suspendu du Weisshorn, situé à 2 km de distance.

La restitution photogrammétrique permet d’établir des courbes de mouvement identique : une partie du glacier, d’une masse de 500 000 m3 environ, a augmenté sa vitesse. Cinq repères sont fréquemment mesurés depuis la vallée à l’aide d’un géodimètre à laser et d’un théodolite de précision (marge d’erreur: 2-3 cm). Afin d’assurer une surveillance continuelle, on met au point un appareillage électromécanique de mesures muni d’un émetteur et on l’installe en amont de la grande crevasse. Les mesures montrent distinctement une augmentation progressive de la vitesse de fluage. Le modèle expérimental, déduit à partir des mesures effectuées, permettra de prévoir la date de rupture approximative dans des situations analogues.

En 2005 deux ruptures successives, impliquant des volumes respectifs de        120 000 m3 et 400 000 m3, ne causent aucune perte humaine, les glaciologues de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich ayant suivi et mesuré avec succès les mouvements de surface et l’activité sismique pendant 25 jours, jusqu’à 3 jours avant la rupture.

Sérac sommitaux du Weisshorn (à 4300 m)
Sérac sommitaux du Weisshorn (à 4300 m)

La rupture du glacier de l’Altels en 1895

Sur le versant nord des Alpes bernoises, dominant le Gasteretal, la rupture de la langue terminale du glacier suspendu de la face nord de l’Altels (3629 m) reste gravée dans les mémoires locales. Au petit matin du 11 septembre 1895, une grande masse de glace accrochée au versant raide et lisse de l’Altels se détache et s’abat dans la vallée. La zone de rupture mesure 580 m de large et 40 m d’épaisseur au centre ; on estime le volume de l’avalanche à 4,5 millions de m3 de neige et de glace. Les alpages de Winteregg et Spittelmatte, près du col de la Gemmi, sont ravagés et l’avalanche de glace remonte très haut sur le versant opposé de la vallée ; 10 ha de forêt sont dévastés par le souffle. On relèvera quatre victimes parmi les bergers de l’alpage de Winteregg. Un écroulement semblable s’était déjà produit en 1782. Aujourd’hui, une large cicatrice marque encore la forêt de Spittelmatte et témoigne de cette catastrophe. En regard de l’extension réduite du glacier actuel, il ne subsiste plus guère de risque.

Dessin provenant de l'expertise du géologue Albert Heim
Dessin provenant de l’expertise du géologue Albert Heim

 

Niche d'arrachement affectant le glacier de l'Altels
Niche d’arrachement affectant le glacier de l’Altels
 La forêt dévastée de Spittelmatte après l'avalanche
La forêt dévastée de Spittelmatte après l’avalanche

 

 

 

              Le site aujourd’hui (2018), la flèche indique la trajectoire de l’avalanche de glace

 

 

Chutes de séracs et avalanches

Dans certains cas, ces phénomènes entraînent aussi la déstabilisation du manteau neigeux et provoquent à coup sûr de nombreux dégâts.

Les chutes de séracs du glacier de Taconnaz menacent ainsi régulièrement une zone habitée de la vallée de Chamonix, en particulier lorsque le manteau neigeux hivernal situé en dessous des séracs, est instable. Les chutes risquent alors de déclencher une avalanche de neige et de glace, qui atteint  la vallée, comme ce fut le cas en 1988, 1999 et en 2006 et dernièrement au printemps 2013.

Avalanche du glacier de Taconnaz au printemps 2013
Avalanche du glacier de Taconnaz au printemps 2013
Avalanche du glacier de Taconnaz
Avalanche du glacier de Taconnaz

Ecroulement rocheux sur glacier : un cocktail détonnant

En haute montagne, les écroulements rocheux sur glaciers, conjugués aux dénivellations exceptionnelles forment un cocktail détonnant et sont à l’origine d’avalanches mémorables. Deux régions sont malheureusement célèbres à cet égard, celle  du col du Simplon et le versant méridional du Mont-Blanc, siège de volumineux écroulements rocheux qui ont souvent balayé le glacier de la Brenva.

 

 Écroulement rocheux dans la face nord du Portalet le 02 Aout 2017  aimablement fournie par l’auteur © Laurence Thabut

 

Glacier de la Brenva et écroulements /l’histoire d’un vieux couple

Les hautes et raides parois granitiques qui dominent le bassin supérieur du glacier  ont été le siège d’une série de volumineux écroulements rocheux qui ont balayé  le glacier de la Brenva. Deux épisodes catastrophiques se sont déroulés au XXe siècle : l’écroulement de 1920 qui a affecté une partie du Pilier d’Angle, contrefort oriental du Mont-Blanc et l’écroulement de 1997.

Les écroulements anciens

Le bassin supérieur de la Brenva est un immense cirque aux raides parois rocheuses dans lequel s’encaisse profondément le glacier. Le 14 novembre 1920 c’est une paroi haute de 800 m (3380 – 4200 m) qui se détache du grand pilier d’Angle au Mont-Blanc. L’écroulement, mélange de blocs et de glace, atteint le fond de la vallée, recouvre le glacier inférieur en franchissant la moraine latérale droite,  avant de mourir sur le versant opposé, témoins les nombreux blocs de granite qui tapissent le bas du versant.

Des photographies et gravures antérieures à 1920 montrent le flanc externe de la moraine droite sans forêt, sur une largeur de plus de 400 m à la fin du XIXe siècle, ainsi quune importante couverture détritique sur le glacier inférieur dans les années 1830. Elles confirment un important écroulement sur la Brenva avant celui de 1920, dont le dépôt pourrait être figuré sur un dessin de Jallabert réalisé en 1767.

Photographie de la moraine latérale droite après l'écroulement de 1920.  L'écroulement provenant du  Grand Pilier d'Angle a largement débordé la moraine latérale.
Photographie de la moraine latérale droite après l’écroulement de 1920.  L’écroulement provenant du  Grand Pilier d’Angle a largement débordé la moraine latérale.

L’écroulement de 1997

Le 18 janvier 1997, une avalanche à aérosol a parcouru 2 000 m de dénivelée sur le glacier de la Brenva en moins de trois minutes, précédée par un souffle qui a rasé une forêt centenaire sur le pied du versant opposé du Val Veni. Deux skieurs, surpris par la soudaineté de l’événement, y ont trouvé la mort.

Cette avalanche exceptionnelle a été déclenchée par un écroulement rocheux parti depuis l’Éperon de la Brenva, grande échine granitique qui domine la partie supérieure du glacier de la Brenva. La masse rocheuse a entraîné avec elle une grande quantité de glace prélevée sur le haut plateau glaciaire. Ces matériaux ont été précipités sur la langue sur près de 500 mètres de longueur, barrant ainsi pour quelques jours les eaux du torrent. La masse tombée a été évaluée à environ deux millions de m3 de roche et de glace.

Front de l'avalanche en aérosol engendrée par l'écroulement du 18 janvier 1997. Il atteint alors le glacier inférieur (Photo M. Fonte).
Front de l’avalanche en aérosol engendrée par l’écroulement du 18 janvier 1997. Il atteint alors le glacier inférieur (Photo M. Fonte).

La chute du glacier de Hohmatten (Monte Léone)

Une des plus anciennes avalanches de ce type mentionnées par les archives s’est produite en 1597, le 31 août, lorsqu’un volumineux écroulement rocheux survenu sur le versant sud-est du Breithorn, entraîne dans sa chute une partie de la langue terminale du Homattugletscher (Monte Léone). La catastrophe est terrible ; l’avalanche, mélange de glace et de roche, emprunte le vallon du Walibach sur une dénivelée de près de 2000 m, atteint le fond de la vallée et détruit en totalité le village de An der Eggen (mentionné également sous le toponyme de Wald). Quatre vingt une personnes perdent la vie, ensevelies sous la glace. Le village disparaît sous les dépôts de l’avalanche qui persisteront pendant 6 années. Plus tard, le village sera reconstruit à distance de 700 m, en dehors de la zone exposée.

 

Le Breithorn et le Homattugletscher
Le Breithorn et le Homattugletscher

 

                                                                                                                                               Emplacement supposé du village de Wald, le Breithorn et le Homattugletscher

 

 

 

Avalanche du Fletschhorn (Valais)

Dans le même secteur, le 19 Mars 1901, un éboulement mixte de rocher et de glace provenant du sommet nord-ouest du Fletschhorn se déverse dans la vallée  du Krummbach. De 800 000 m3 au départ – dont 40% de rochers – le volume atteint près de 5 millions de m3 en fond de vallée à proximité du village du Simplon.

 La  face Nord du Fletschhorn vue depuis le col du Simplon
La  face Nord du Fletschhorn vue depuis le col du Simplon

Cause de la fusion de la glace : d’une avalanche sèche, permet d’obtenir une lave torrentielle. Chute de la glace = perte d’énergie potentielle = chaleur => fusion de la glace => eau => lave (10% eau-90% rocher, en masse, pas en volume !

Modifications du régime thermique des glaciers et chutes de séracs

Du fait du réchauffement climatique, les caractéristiques thermiques des glaciers se transforment, créant de nouveaux risques. Il en va ainsi des glaciers de « type froid », constitués de glace à une température inférieure à 0°C, qui sont de ce fait collés à la roche.

Dans l’hypothèse d’une poursuite du réchauffement, la remontée des températures va affecter la stabilité des glaciers suspendus de face nord, comme la face nord de l’Aiguille Verte. À moyen terme, ils vont évoluer en glaciers de « type tempéré », avec de l’eau s’écoulant à leur base. Cette situation risque de générer des glissements plus rapides, puis des écroulements des appareils glaciaires suspendus, dont les pentes moyennes dépassent couramment 40°.

Le glacier suspendu de la face Nord de l’Aiguille Verte est un glacier "encore" froid dont la base est collée à la roche.
Le glacier suspendu de la face Nord de l’Aiguille Verte est un glacier « encore » froid dont la base est collée à la roche.

Risques liés au retrait des glaciers

L’évolution des moraines latérales

Le retrait considérable des langues glaciaires depuis 1850, parfois de plusieurs  kilomètres, se transcrit verticalement par une disparition de 100 à 300 m d’épaisseur de glace, notamment à la Mer de Glace. Cette évolution engendre là aussi de nouveaux risques : en effet, une fois l’appui du glacier qui les a édifiés disparu, les édifices morainiques parfois considérables se retrouvent déséquilibrés. Ce qui entraîne de volumineux glissements de terrain, affectant les moraines récemment libérées des glaces. C’est le cas de la moraine latérale du glacier inférieur de Grindelwald au chalet de Bäregg.

Les flancs internes de ces édifices morainiques, si la végétation ne les colonise pas rapidement, sont en outre la proie de l’érosion qui les détruit petit à petit. Les moraines latérales du glacier des Bossons et de la Mer de Glace en sont de beaux exemples.

Démantèlement de la moraine latérale droite du glacier inférieur de Grindelwald (alpe de Bäregg)
Démantèlement de la moraine latérale droite du glacier inférieur de Grindelwald (alpe de Bäregg)

La décompression post-glaciaire des versants rocheux

Lors des maxima glaciaires, la force de pression considérable exercée par la glace directement sur les versants rocheux comprime ceux-ci, même infiniment. Lorsque le glacier fond, le versant rocheux se fragilise et perd sa stabilité : la roche se décompresse, des fractures apparaissent, responsables d’écroulements.

Le site du glacier inférieur de Grindelwald, dans les Alpes bernoises en Suisse, illustre bien ce cas de figure. On y a observé successivement le tassement au cours de l’été 2006 d’une masse rocheuse considérable en rive gauche sur les flancs de l’Eiger, d’un volume proche de 2 millions de m3, suivi de l’écroulement partiel de cette masse (200 000 m3).

Masse tassée et écroulement qui ont affecté le substratum de l’extrémité Est de l’arête de l’Eiger en 2006.
Masse tassée et écroulement qui ont affecté le substratum de l’extrémité Est de l’arête de l’Eiger en 2006.

 

Le réseau hydrographique du glacier 

Dans les entrailles du glacier

Explorer de près les phénomènes qui se produisent à l’interface glace-roche s’est longtemps révélé quasi impossible dans la plupart des cas en raison de l’inaccessibilité du lit rocheux. Les glaciologues profitent d’installations hydroélectriques ou tirent parti de rares cavités naturelles pour mener à bien leurs observations scientifiques.

Le développement des méthodes de mesure a permis de mettre en évidence le rôle essentiel joué par le réseau hydraulique sous glaciaire dans les processus d’écoulement d’un glacier tempéré.

Bédières, moulins et torrents sous-glaciaires

Au retour de la belle saison, la couverture nivale commence à fondre. L’eau s’infiltre à travers le névé jusqu’à atteindre la couche de glace sur laquelle elle ruisselle en constituant des ruisseaux, nommés bédières. Dès que les ruisseaux trouvent un point faible, comme une crevasse, ils s’y engouffrent et excavent petit à petit leurs chenaux, formant ainsi un moulin (l’expression est due à James David Forbes), gouffre vertical qui peut atteindre plusieurs dizaines de mètres. Le glacier s’apparente ainsi à un réseau karstique calcaire, mais comment s’écoule l’eau du glacier et où ?

La bédière, torrent qui draine les eaux de fontes estivales à la surface de la Mer de Glace
La bouche béante du moulin de la Mer de Glace, le premier puits atteint une profondeur de 60 m

En septembre 1841, Agassiz en personne est le premier à descendre, couvert de peaux de chèvres, dans un « moulin » du glacier de l’Unteraar (Suisse, alpes bernoises) où se perdent les eaux de surface, jusqu’à une trentaine de mètres de profondeur. En 1896, c’est au tour de Joseph Vallot sur la Mer de Glace et l’année suivante de l’alpiniste Émile Fontaine qui atteint la profondeur de 60 m dans un moulin inactif du glacier de Leschaux. Près d’un siècle plus tard, en 1987, Jean-Marc Boivin, Jeannot Lamberton et Haroun Tazieff descendent jusqu’à 110 m dans un moulin de la Mer de Glace.

3-  Schéma du moulin exploré par Joseph Vallot en 1897

Explorer l’interface glace-roche est devenu réalisable aujourd’hui grâce aux travaux entrepris par les compagnies électriques pour capter les torrents sous glaciaires.

En France, trois glaciers ont ainsi été explorés. Le premier captage sous glaciaire est réalisé entre 1942 et 1943 au glacier de Tré-la-Tête. Les travaux sont dirigés par l’ingénieur Max Waeber, en véritable pionnier, qui trouve la mort en 1949 en tombant dans le torrent objet de ses travaux ! Puis vient le tour du glacier d’Argentière : en  1965 débutent des travaux gigantesques pour capter ses eaux sous les séracs de Lognan.  Un réseau de galeries permet alors de multiples accès sous le glacier : à 2040 m d’altitude  la glace décolle du lit rocheux et crée toute une série de cavités permanentes. Véritable laboratoire de glaciologie situé à l’interface glace-roche, elles sont aménagées en 1970 par le glaciologue Robert Vivian, puis par le glaciologue Luc Moreau dans les années 1990. Le site permet d’enregistrer en permanence les vitesses d’écoulement du glacier.

Enfin un dernier captage a été réalisé en 1973 sous la langue terminale de la Mer de Glace pour alimenter l’usine hydroélectrique des Bois.

Sous le glacier de Tré-la-Tête en 1943, l’homme de gauche est l’ingénieur Max Waeber
Sous le glacier de Tré-la-Tête en 1943, l’homme de gauche est l’ingénieur Max Waeber
Dans la cavité sous glaciaire du glacier d’Argentière
Dans la cavité sous glaciaire du glacier d’Argentière

Le mouvement du glacier

L’écoulement du glacier

Le déplacement imperceptible d’une masse glaciaire, d’apparence si rigide, est difficile à admettre. Comment une masse solide pourrait-elle s’écouler ?

 

Video de l’écoulement du Bissgletscher (valais), Service cantonal du valais (risque glaciaires)

 

 

Portraits du physicien anglais James David Forbes
Portrait du physicien anglais James David Forbes

En 1773, Voltaire réfute l’hypothèse : « Nos montagnes de glacières, écrit-il, qui sont dix fois plus hautes que le Vésuve et quarante fois plus étendues, ont toujours le même visage et sont dans un calme éternel ». En 1786, un mathématicien allemand, Gottfried Ploucquet, après une visite aux glaciers de Grindelwald, explique que « toute marche en avant de la glace est une impossibilité physique ». Les montagnards, se fiant à leurs observations, en avaient déjà une idée précise, comme l’écrit Windham en 1741 lors de sa visite à la Mer de glace : « Nos guides nous assurèrent, écrit-il, que le glacier possède une sorte de mouvement ». Quelques décennies plus tard, des observateurs de la Mer de Glace remarquent que des blocs se sont déplacés de quelque 500 pieds, soit 174 m, mais ces observations restent encore très vagues. Ce n’est qu’en 1827 que Franz-Joseph Hugi mesure l’avance du glacier de l’Aar, dans le canton de Berne, en Suisse. Puis, ayant la curiosité d’y séjourner en hiver, il constate que contrairement à une opinion répandue, le mouvement du glacier ne s’interrompt pas durant la mauvaise saison. Un peu plus tard, Arnold Guyot découvre que le glacier, tout comme un fleuve, s’écoule plus vite au centre que sur les bords, double conséquence du frottement de la glace contre les parois rocheuses de l’auge glaciaire d’une part et de l’épaisseur de la glace en son centre d’autre part.

Une première approche de vitesse de la Mer de Glace a été établie fortuitement en 1832 grâce aux restes de l’échelle abandonnée par Horace Benedict de Saussure au pied de l’Aiguille Noire, en 1788. En 57 ans, l’échelle avait parcouru 4370 m, ce qui correspond à une moyenne annuelle de 76 m.

Enfin, en 1840-42, viennent les campagnes de mesures d’Agassiz au glacier de l’Aar et de James David Forbes à la Mer de glace. Désormais, l’écoulement des glaciers ne va cesser d’être mesuré de manière toujours plus régulière, sur un nombre croissant de sites.

 

 

La preuve par les cadavres

A la même époque que les travaux d’Agassiz et  Forbes, on dispose déjà de preuves plus directes et surtout plus émouvantes du mouvement glaciaire.

En 1820, trois guides de la caravane d’un savant russe, le docteur Hamel, en route vers le sommet du Mont-Blanc, sont ensevelis au-dessus du Grand Plateau. Quarante ans plus tard, l’extrémité du glacier des Bossons restitue leurs restes, relativement bien conservés par la congélation.

C’est également le cas des corps du capitaine Arkwright et de sa cordée, restitués en 1866. En 1975, ce sont les débris du Malabar Princess, avion qui s’était écrasé en 1950 sous le sommet du Mont-Blanc, qui sont ainsi retrouvés : ils ont descendu près de 3500 m en un quart de siècle. Ces découvertes ainsi que les restes de l’hélicoptère échoué lors de la tragédie de Vincendon et Henry (1956) et ceux d’un autre avion, le Kangchenjunga (1966) permettent de constater que la vitesse d’écoulement du glacier des Bossons est remarquablement constante, alors même que le front de ce glacier a connu de grandes fluctuations.

Elément du train d’atterrissage du Boeing 707 d'Air India, le Kangchenjunga, qui s'est écrasé sur le Mont- Blanc le 24 janvier 1966. Cette roue a été retrouvée en 2003 par Stéphane Ruby sur la langue terminale du glacier des Bossons.
Elément du train d’atterrissage du Boeing 707 d’Air India, le Kangchenjunga, qui s’est écrasé sur le Mont- Blanc le 24 janvier 1966. Cette roue a été retrouvée en 2003 par Stéphane Ruby sur la langue terminale du glacier des Bossons.

Les formes générées par le mouvement du glacier

Crevasses, séracs et bandes de Forbes

Le déplacement d’un glacier n’est pas homogène. Il s’étire et se déforme ; sa vitesse augmente, puis diminue, selon la topographie du lit rocheux. Le glacier subit donc des contraintes entre les zones qui s’écoulent plus vite et celles qui sont freinées : entre le centre et les bords, entre la surface et le fond de l’auge, entre les ruptures de pentes et les zones moins pentues.

Là où le glacier est ralenti, la glace est comprimée par l’écoulement des parties en amont ; la base de la chute de séracs du Géant, dans le massif du Mont-Blanc, est un exemple d’une telle zone de compression.

Les mouvements du glacier sont lents, ce qui permet à la glace de se déformer, mais les contraintes parfois très importantes provoquent des étirements tels que la glace se déchire. Les crevasses visibles à la surface du glacier témoignent de ces différences de vitesses.

La rimaye (ou rimée) est la crevasse située le plus en amont, à la limite entre le pied des parois d’un bassin-versant et le glacier. Ce mot, savoyard, vient du latin rima, crevasse ; c’est Édouard Desor qui l’adopte en 1839. La rimaye sépare la glace froide, immobile, adhérant à la paroi rocheuse, de celle du glacier qui commence à glisser.

Les crevasses proprement dites peuvent se situer au centre du glacier comme sur ses bords ; ces fissures, plus ou moins larges, affectent la masse même du glacier, sans toutefois pouvoir dépasser une  profondeur de 40 m en raison des propriétés physiques de la glace. En effet, la pression exercée par la glace au delà de cette profondeur contraint fissures et crevasses à se refermer.

Dans le névé, où la densité est bien inférieure à celle de la glace, les crevasses peuvent parfois dépasser 50 m : c’est le cas des grandes crevasses qui rayent la surface de la combe Maudite au glacier du Géant ou la partie supérieure du glacier des Bossons, en amont du refuge des Grands Mulets. Les crevasses transversales se rencontrent dans les zones où la pente provoque une forte traction, le glacier est alors en étirement. Les crevasses latérales sont provoquées par le frottement contre les rives et s’orientent à 45° par rapport à l’axe du glacier.

Schéma de la formation des crevasses.
Schéma de la formation des crevasses. Les vitesses d’écoulement sont plus importantes au centre (1), la glace freinée par le frottement sur la rive subit des déformations maximales dépassant la limite de rupture, la glace se fissure, les crevasses apparaissent. Elles se répartissent en crevasses latérales (2) orientées à 45° par rapport à la direction principale de l’écoulement. Ces crevasses se rejoignent parfois en arc de cercle (3), les flèches (4) indiquent les directions de tensions maximales. D’après L. Reynaud

Déformation et formation des crevasses marginales

 

Schéma de la déformation du cube de glace
Schéma de la déformation du cube de glace

Près du bord du glacier, l’échantillon de glace, vu de dessus, initialement carré, se déforme, entraîné d’un côté par l’écoulement du glacier et retenu de l’autre par le frottement de la rive ; il prend alors la forme d’un losange. La traction maximale s’exerce suivant la plus grande diagonale, perpendiculairement à la petite diagonale : ainsi, au bord des glaciers, les crevasses sont orientées à contre-courant selon un angle de 45°.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Des chutes de séracs apparaissent aux franchissements des ruptures de pente les plus brutales. C’est là encore un mot savoyard, le sérac, que de Saussure adopte pour désigner ces « rectangles de glace », « parce qu’ils ont absolument la forme d’une espèce de fromage que l’on comprime dans des caisses rectangulaires où il prend la forme de parallélépipèdes rectangles ».

4 -  Les profondes crevasses du glacier du Géant peuvent dépasser 50 m en zone d’accumulation
Les profondes crevasses du glacier du Géant peuvent dépasser 50 m en zone d’accumulation

Aux séracs du Géant, le rétrécissement de la vallée glaciaire et la dénivelée importante provoquent un amincissement de l’épaisseur de glace et une accélération de la vitesse, qui peut atteindre près de 800 m par an, d’où un morcellement de la masse du glacier. Il en résulte un véritable chaos, amoncellement de blocs de glace instables.

(MANQUE PHOTO)  Les séracs du glacier froid du Dôme du Goûter alimentent par de fréquentes avalanches le glacier des Bossons

On doit à Forbes une découverte importante. De nombreux glaciers montrent des ogives appelées aussi chevrons ou bandes de Forbes : celui-ci en a expliqué la formation lors de ses campagnes de mesure de la Mer de glace. Ces alternances de bandes claires et sombres se forment à l’aval des chutes de séracs.

ogives à la Mer de Glace
Les ogives de la Mer de Glace appelées bandes de Forbes.

 

Séracs du Géant P Tournaire
Séracs du Géant P Tournaire

Au sommet des séracs du Géant, à la Bédière, le glacier n’a que 80 m d’épaisseur et il se déplace de 350 m par an sur 1 km de largeur : il évacue   25 millions de m3 par an. Sa vitesse atteint son maximum dans la chute de séracs elle-même : environ 800 m/an, sous 40 m d’épaisseur. Sur le replat de la «Salle à Manger», le mouvement se ralentit et l’épaisseur augmente : 350 m/an sous 260 m de glace. En aval, au glacier du Tacul, elle ralentit de nouveau : 105 m/an pour 380 m de glace.

Vitesses et épaisseurs s’ajustent à la largeur de la vallée, à chaque changement de pente du lit, tout comme l’eau dans une rivière. Sur le replat dit du Tacul, le glacier se présente alors comme un demi-cylindre régulier de près de 400 m de rayon et n’évacue plus que 15 à 20 millions de m3 par an, en raison de la fonte de la glace en surface.

La vitesse d’écoulement d’un glacier passe par un maximum à la ligne d’équilibre glaciaire, la ligne de névé, puis décroit. Un glacier tempéré s’écoule par une combinaison de glissements sur sa base et de déformations internes. On a pu démontrer ce double mécanisme en reconstituant  le profil des vitesses différentielles : le glacier glisse lentement sur le lit rocheux, en raison du frottement, puis de plus en plus vite au fur et à mesure que l’on remonte à la surface, où la vitesse de glissement atteint son  maximum.

Schéma de l’écoulement d’un glacier, les différentes vitesses entre la base la marge et la surface du glacier sont représentées

 

Malgré les apparences, le glacier n’est pas un corps rigide : il se déforme sous son propre poids, comme le ferait une lave coulant le long des pentes d’un volcan.

L’écoulement des glaciers peut s’accélérer dans diverses circonstances : quand ils prennent du volume lors d’une crue, lorsque l’eau de fonte de l’été lubrifie l’interface entre la glace et la roche, lors d’une rupture de pente ou encore lorsque plusieurs langues glaciaires confluent.

Variations des glaciers du Mont-blanc : les mesures

Le glacier s’adapte avec une grande inertie au changement des conditions climatiques du fait de sa masse en écoulement. Le temps de réponse dépend principalement du volume glaciaire. Ainsi de petits glaciers de cirque, comme le glacier de Plan Névé dans le massif des Dents du Midi, s’adaptent en l’espace de deux à trois ans, alors qu’il faut onze années à la Mer de Glace et environ quarante ans au grand glacier d’Aletsch pour retrouver une position d’équilibre. Chaque glacier intègre ainsi les variations climatiques de manière particulière en fonction de sa masse, de son orientation, de sa complexité topographique et de ses affluents. La longueur de glaciers voisins peut ainsi varier à des vitesses très différentes.

C’est à la fin du XIXe siècle que commencent les mesures systématiques : en France,  de 1891 à 1899,  Joseph Vallot mesure la vitesse de la glace sur la langue terminale de la Mer de Glace avec une ligne de pierres peintes. Vallot définit ainsi une méthode pertinente de relevés, adoptée ensuite par les Eaux & Forêts de 1907 à 1960, fournissant un ensemble unique de données sur un demi-siècle pour les changements de forme et d’écoulement des glaciers. En Suisse, François-Alphonse Forel commence en 1892 ses premières observations régulières. Il procède à des mesures systématiques des glaciers alpins, notamment du glacier du Rhône.

Des précurseurs à aujourd’hui, la technique des mesures a peu changé si ce n’est dans leurs supports : cairns, blocs rocheux peints en rouge ou en bleu, piquets et enfin balises, dont on relève la position par triangulations effectuées depuis des points fixes sur les rives. Cette position, repérée à intervalles réguliers dans les trois dimensions, renseigne sur l’amplitude des déplacements de la surface. Mais les campagnes de mesure ont également montré que les piquets ne restent pas sur celle-ci. Dans la zone d’accumulation, un piquet planté au cours d’un été se retrouvera, l’été suivant, quelques dizaines de mètres plus en aval, mais aussi sous la neige tombée au cours de l’hiver. Au cours de la deuxième année, le piquet va poursuivre sa route, maintenant enfoui sous l’accumulation de deux ans, et ainsi de suite… Envisageons maintenant qu’il franchisse la ligne d’équilibre sous 15 m de glace. Une année plus tard, progressant dans la zone d’ablation et la glace ayant fondu d’environ 50 cm, il ne sera plus recouvert que par 14,5 m de glace. Au fur et à mesure de son écoulement vers l’aval, la glace fond de plus en plus vite ; en quelques années il réapparaîtra à la surface du glacier. Ainsi un objet, et c’est notamment le cas du flocon de neige, qui tombe dans la zone d’accumulation du glacier, s’enfonce, puis réapparaît (sous forme de glace) au bout de nombreuses années dans la zone d’ablation.

Le professeur suisse François-Alphonse Forel
Livret du professeur suisse François-Alphonse Forel
Campagne de mesures  au gl du Rhône, 1919
Campagne de mesures  au gl du Rhône, 1919

 

Forel au glacier du Rhône
Forel au glacier du Rhône

 

Scientifiques glacier du Rhône, vers 1910

Coupe d’un glacier, trajet effectué par un flocon de neige depuis la zone d’accumulation

Qu’est-ce qu’un glacier ?

La définition donnée par le Trésor de la langue française, « amas de glace formé par l’accumulation d’épaisses couches de neige dont la masse est animée de mouvements lents », semble résumer l’essentiel : l’accumulation, la transformation et le mouvement.

Une définition plus complète peut être proposée : un glacier est un système pérenne à l’échelle humaine, stock d’eau solide (neige, névé, glace), qui se renouvelle continuellement, par le jeu combiné de l’accumulation (chutes de neige, neige apportée par le vent ou par les avalanches) et de l’ablation (fonte). Il s’écoule en permanence sous l’effet de son poids, des parties hautes, où l’accumulation l’emporte, vers les parties basses, où l’ablation domine.

De la neige à la glace

Glace et cristal à l’origine d’une confusion

Dans l’antiquité et au Moyen Age, le cristal de roche n’est que de l’eau congelée, amenée à une dureté extrême. Selon l’auteur latin Pline l’ancien, « c’est une forte congélation qui condense le cristal ; du moins ne le trouve-t-on que là où les neiges d’hiver sont les plus glacées, et il est certain que c’est une glace ». Cette notion restera admise jusqu’au XVIIe siècle, et ne contribuera certainement pas à la compréhension du phénomène glaciaire

Les grains de glace et le cristal de roche

En réalité, la neige est la matière première des glaciers. Elle s’accumule et se transforme en glace par un phénomène appelé diagenèse. Les gels et dégels successifs compactent et arrondissent assez vite les cristaux de neige initiaux tandis que l’air emprisonné en est peu à peu expulsé. De plus, l’eau de fonte descend vers les couches inférieures, contribuant ainsi à cette lente métamorphose de la neige (densité variant de 0,04 à 0,40, soit 40 à 400 kg/m3 de neige) en névé (densité de 0,5 à 0,7/ 1 m3 de névé), puis en grains de glace (densité de  0,84 à 0,90 / m3, soit 840 à 900 kg/m3 de glace).

Névé : ce mot franco-provençal a été introduit dans la littérature en 1840 par Louis Agassiz.

 

Bien sûr, les glaciers ne peuvent prendre naissance que dans les régions où, durant plusieurs années consécutives, la quantité de précipitations solides (neige, grêle, grésil) est supérieure à celle qui fond durant la période estivale.

L’observation de la Mer de Glace, traditionnellement glacier de référence, permet de comprendre les processus qui conduisent à la formation d’un glacier.

Zone d’accumulation et zone d’ablation

La zone d’accumulation

 

Le glacier du Géant est la zone d’alimentation de la Mer de Glace. À cette altitude, au-dessus de 3000 m, la plupart des précipitations ont lieu sous forme solide. À partir de juin, la neige commence à fondre : c’est la fusion estivale. L’eau de fonte percole à travers le manteau neigeux et le réchauffe, permettant ainsi d’évacuer le froid stocké au cours de l’hiver. La température de la neige est progressivement ramenée vers zéro degré et les cristaux de neige grossissent pour se transformer en névé, étape intermédiaire avant la transformation en glace.

À la fin de l’été, à 3500 m, au col du Midi, il reste en moyenne 6 m de névé ce qui représente une accumulation équivalente à 3 m d’eau. Pendant une dizaine d’années, les couches successives de névé se transforment progressivement sous le poids des couches supérieures, en devenant de plus en plus denses.

Le passage à la glace imperméable s’effectue en un seul été vers 30 m de profondeur, dans l’eau d’une nappe aquifère, qui s’accumule chaque été à partir de la fonte du névé de surface. Au col du Midi, sous les  30 m de névé, il y encore 150 m de glace avant d’atteindre le rocher (forage de 187 m, en juillet 1971, par le LGGE).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mesures d’accumulation au glacier de la Girose ©Louis-Reynaud

 

 

La zone d’ablation

Ligne d’équilibre glacière, au glacier du Géant et au Glacier de Trelaporte

Dans le glacier du Géant, la limite des neiges éternelles se situe vers 2900 m d’altitude à la fin de l’été. Cette limite, bien visible, est appelée ligne de névé. En aval de celle-ci, la glace nue apparaît : la fonte annuelle devient plus importante que l’accumulation.

L’altitude de cette ligne de névé varie avec l’exposition : sur les versants Nord, à l’abri des sommets, elle descend jusqu’à  2 800 m tandis que plein Sud, comme sur le Glacier de Talèfre, elle remonte vers 3200 m. Son altitude varie chaque année, en fonction des températures de la saison estivale.

Notion de ligne d’équilibre glaciaire ou ligne de névé

Quelle que soit la forme du glacier, celui-ci est composé de deux zones : la zone d’accumulation et la zone d’ablation, séparées par la ligne de névé (ou ligne d’équilibre glaciaire), que Franz Joseph Hugi fut le premier à repérer en tant qu’élément structurel. Cette distinction repose sur la notion de bilan glaciaire, qui comptabilise les entrées (chutes de neige) et les sorties (fonte et sublimation). La ligne d’équilibre glaciaire correspond à peu près à la limite inférieure du névé en fin de saison. Depuis le début de notre période interglaciaire, il y a 11 000 ans, elle a fluctué entre 2750 et 3400 m dans le massif du Mont-Blanc, remontant de près de 200 m depuis le milieu du XIXe siècle, pour se situer actuellement entre 2900 et 3200 m selon l’exposition.

La ligne d’équilibre glaciaire (LEG) est définie comme la section du glacier qui enregistre le maximum de débit de glace en une année ; elle représente la limite entre la zone d’accumulation et la zone d’ablation, le bilan de masse y est nul.

 

Le bilan de masse d’un glacier

Prélèvement d’une colonne de neige en zone d’accumulation© C. Vincent
Mesure de l’épaisseur du névé en fin d’été au glacier d’Argentière © C. Vincent

Le rapport entre la surface de la zone d’accumulation d’un glacier et sa surface totale détermine l’état de santé du glacier. Il est couramment admis que si les deux tiers de la surface du glacier se situent en zone d’accumulation, le glacier est en équilibre. Les mesures effectuées ces quinze dernières années dans les Alpes montrent que, en moyenne, seulement 30 à 40 % de la surface totale des glaciers alpins est située en zone d’accumulation : ces valeurs parlent d’elles mêmes, elles démontrent la tendance inéluctable à la baisse de volume des glaciers.

Le bilan de masse d’un glacier est établi chaque année. Il tient compte, d’une part, de la quantité de glace accumulée, exprimée en hauteur d’eau, provenant des chutes de neige, et d’autre part de la quantité de glace perdue, elle aussi exprimée en hauteur d’eau, et principalement due à la fonte estivale.

En zone d’accumulation, les mesures sont faites par pesée d’une carotte de neige subsistant à la fin de l’été. En aval, en zone d’ablation, la quantité de glace perdue est mesurée grâce aux balises implantées à 10 ou 15 m de profondeur avec une sonde à jet de vapeur. Ces balises constituent des jalons, on y relève non seulement l’ablation mais également les déplacements annuels du glacier.

Un bilan positif indique que la ligne d’équilibre s’abaisse et, par conséquent, que la masse du glacier augmente, ce qui se traduira après un laps de temps variable par une avancée du front du glacier. Un bilan négatif a pour conséquence un recul du front, là aussi avec un certain décalage temporel.

Le suivi des bilans de masse annuels constitue donc un indicateur fiable des modifications climatiques, là où l’historique de ses variations est disponible : c’est le cas depuis plus d’un demi-siècle pour la Mer de Glace et le glacier d’Argentière.

Le régime thermique du glacier : glacier tempéré et glacier froid

 

 

Exemple d’un glacier tempéré, le glacier de la Lée Blanche,

Il existe plusieurs catégories de glaciers dépendantes des températures de la glace, autrement dit du régime thermique. La température de la glace dépend de trois facteurs principaux, qui sont les échanges thermiques avec l’atmosphère, le flux géothermique (chaleur de la Terre) et  la pression de la glace sur le lit rocheux (friction). En fonction du régime thermique, on distingue trois catégories de glaciers :

Les glaciers tempérés ont une température partout proche du point de fusion : ces glaciers subissent une fonte assez importante pendant l’été, ce qui a pour conséquence de ramener leur température à celle de la fusion de la glace, (0°C en surface à la pression atmosphérique). Seuls la neige et le névé de surface sont à des températures négatives pendant l’hiver. Aux températures estivales plus élevées que subissent ces glaciers sont associées des températures hivernales moins froides, qui permettent de plus fortes précipitations. C’est le cas de la majorité des glaciers des Alpes en dessous de 3600 m d’altitude en versant Nord et 4100 m en versant Sud. La glace étant au point de fusion (présence d’eau de fonte à la base), ils glissent alors sous l’effet de leur propre poids.

 

 

 

 

 

 

Glacier froid : calotte glaciaire du sommet du Mont-Blanc, @Pascal Tournaire

Les glaciers froids ont une température située partout en dessous du point de fusion ; ils sont gelés à leur base (pas d’écoulements d’eau), donc collés à la roche. On les rencontre généralement au-dessus de 4 000 m d’altitude dans les Alpes ou parfois jusqu’à 3600 m dans les faces Nord à l’ombre (face Nord de l’Aiguille du Midi). Au sommet du Mont-Blanc, la température moyenne annuelle est de -16°C, la neige et la glace sont froides (-16°C) et collées à la roche, l’écoulement de la glace, inéluctable du fait de son poids, se produit par déformations internes.

Dans le massif du Mont-Blanc, l’étude de la calotte du Dôme du Goûter s’appuie sur des relevés de températures effectués en 1994 et en 2005, réalisés à l’aide de capteurs disposés au fond de forages profonds de 140 mètres. Les travaux du LGGE ont constaté « une augmentation de la température de 1 à 1,5 degré Celsius sur les 60 premiers mètres de glace » en 11 ans. « Ce résultat est le premier qui atteste un réchauffement atmosphérique à ces hautes altitudes », précise le glaciologue Christian Vincent.

Le glacier polythermal présente à la fois les deux caractéristiques selon son altitude ; c’est le cas du glacier des Bossons, descendant du sommet du Mont-Blanc. Sa température est négative jusque vers 3800 m d’altitude, puis, un peu en aval du Grand Plateau, le glacier devient tempéré.

 

 

 

Le Mont-Blanc et ses satellites : entre l’Aiguille du Midi et l’Aiguille du Goûter les sommets dépassent 4000 m d’altitude et sont occupés par des glaciers de type froids. Les glaciers des Bossons et de Taconnaz sont de type polythermiques © A. Amelot, S. Coutterand

 

Morphologie glaciaire … Les formes des glaciers !

Le glacier des Bossons : un glacier de versant
Le glacier des Bossons : un glacier de versant @François Amelot

 

 

Les formes du relief déterminent une grande variété de morphologies glaciaires.

Les glaciers de vallée : ils représentent l’image la plus classique du glacier. Bien souvent, la langue glaciaire est formée par la réunion de courants glaciaires issus de différents cirques. C’est ce qui se produit à la confluence du glacier du Tacul et du glacier de Leschaux, dont la réunion forme la Mer de glace. C’est également le cas du plus grand glacier des Alpes, le glacier d’Altesch (22 km de long).

Les glaciers de versant : dans bien des cas, l’accumulation en altitude s’évacue par une langue glaciaire de versant. Les glaciers des Bossons et de Taconnaz, dans le massif du Mont-Blanc en sont d’excellents exemples.

Le glacier de cirque : c’est un glacier qui occupe la totalité d’un cirque sans en déborder. Par exemple, le glacier du Ruan dans le massif du Haut Chablais.

 

 

 

 

 

12.  Le glacier du Ruan (Haut Giffre) occupe un petit cirque glaciaire © CNM
Le glacier du Ruan (Haut Giffre) occupe un petit cirque glaciaire © CNM

Glaciers suspendus ou glaciers en « Van » s’installent sur des parois rocheuses dont la pente, l’altitude et l’exposition permettent à la glace d’y demeurer (il s’agit donc de glaciers froids) ; ils alimentent, par avalanches ou chutes de séracs (phénomène de vêlage), le bassin glaciaire inférieur. Les faces nord de l’aiguille de Bionnassay et de l’Aiguille Verte (couloir Cordier) en sont bien représentatifs.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Glaciers de calotte : les calottes glaciaires s’installent sur un sommet dont la topographie est suffisamment douce, et d’altitude assez élevée pour y permettre l’accumulation neigeuse. L’écoulement se fait alors de tous côtés.
Glaciers de calotte : les calottes glaciaires s’installent sur un sommet dont la topographie est suffisamment douce, et d’altitude assez élevée pour y permettre l’accumulation neigeuse. L’écoulement se fait alors de tous côtés @Marc Letot

 

 

Dans le massif du Mont-Blanc, les principales calottes se localisent au somment du Mont-Blanc et au  Dôme du Goûter.

14.   Calottes sommitales du Mont Blanc et du Dôme du Goûter © P. Tournaire
Calottes sommitales du Mont Blanc et du Dôme du Goûter © P. Tournaire

 

 

Un glacier rocheux en Valais (Suisse) © F Amelot
Un glacier rocheux en Valais (Suisse) © F Amelot

 

Glaciers rocheux : le phénomène est complexe, et on en distingue trois variétés. Les glaciers rocheux « actifs » contiennent une glace interne, invisible, et se déplacent lentement vers l’aval, de quelques centimètres à un mètre par an ; les glaciers-rocheux « inactifs » contiennent encore de la glace, mais sont immobiles. Quant aux glaciers rocheux « fossiles », ils conservent la morphologie externe mais ne présentent plus de glace et ne se déplacent pas non plus. Ces formations sont courantes dans les Alpes du Sud et dans le Valais suisse.

La surface des glaciers

Les dépôts présents à la surface des glaciers  proviennent pour la plupart de l’érosion des versants montagneux les dominant. Ils sont progressivement intégrés dans le névé puis dans la glace. Ils réapparaissent en surface en zone d’ablation, en raison de la fonte estivale du glacier.

Glaciers noirs, glaciers blancs

Si la couverture de débris recouvre la plus grande partie d’une langue glaciaire, il s’agit d’un « glacier noir ». Le glacier du Miage sur le versant oriental du massif du Mont-Blanc illustre bien ce type de glacier.

La décrue actuelle des langues glaciaires favorise l’apparition de glaciers noirs. La Mer de Glace qui était d’une blancheur éclatante jusqu’au milieu du XIXe siècle, se transforme progressivement en glacier noir.

Exemple de glacier noir, la langue terminale du glacier de l’Unteraar (Alpes Bernoises)
Exemple de glacier noir, la langue terminale du glacier de l’Unteraar (Alpes Bernoises)

Les moraines centrales ou médianes

Lorsque deux langues glaciaires issues de bassins différents se rejoignent, les deux courants de glace se juxtaposent en profondeur et les moraines latérales se rejoignent en surface, formant une moraine centrale, appelée moraine médiane. Le plus grand glacier des Alpes, celui d’Aletsch présente plusieurs moraines médianes issues de la confluence de trois principaux appareils glaciaires.

Moraines centrales ou médianes sur le glacier d’Aletsch, le plus grand glacier des Alpes
Moraines centrales ou médianes sur le glacier d’Aletsch, le plus grand glacier des Alpes
Schéma montrant la formation des moraines médianes
Schéma montrant la formation des moraines médianes

Ces dépôts de surface ont bien souvent un effet protecteur dès que leur épaisseur dépasse quelques cm et sont à l’origine de formes peu courantes.

Dirt cone sur le glacier de Leschaux
Dirt cone sur le glacier de Leschaux

Les dirt-cones, ou cônes de poussières : si l’absorption de la chaleur, et donc la fonte, est favorisée par une mince couche de dépôts fins, elle peut être totalement annulée par une couche plus épaisse, à partir de quelques centimètres, qui fait office d’isolant, préservant alors de la fonte la surface du glacier. Ainsi se forment les dirt-cones. Une dépression de la glace recueille poussières et cailloux ; puis la fonte abaisse le niveau de la glace dans la périphérie, tandis que, protégé par son couvert, le dirt-cone s’exhausse peu à peu.

 

Les tables glaciaires illustrent un autre exemple de fonte différentielle. Ces blocs rocheux servent de « pare-soleil » à leur socle de glace ; le bloc la protège de l’ablation estivale alors que la glace découverte fond rapidement tout autour, et bientôt celui-ci se trouve perché au sommet d’un piédestal de glace. Ces blocs sont connus sous le nom de tables de glaciers, qui finissent toujours par s’écrouler.

 

Table glaciaire sur le glacier d’Altesch
Table glaciaire sur le glacier d’Altesch

La vie dans les glaciers

On aurait tort de croire qu’un glacier est un univers purement minéral, sans vie : au contraire, le glacier abrite des organismes étonnants !

La « neige rouge » est attribuée à des algues unicellulaires comme Protococcus nivalis.

Neige rouge sur le glacier de Talèfre
Neige rouge sur le glacier de Talèfre

Les « trous à cryoconite »  sont de petites cavités cylindriques et verticales en surface des glaciers, remplis d’une poussière noirâtre qui, absorbant la chaleur du soleil, favorise le creusement. La cryoconite est formée de déchets minéraux, mais elle recèle aussi toute une vie végétale et animale.

Trou à cryoconite

 

La puce des glaciers découverte au XIXe siècle est baptisée Desoria nivalis en l’honneur d’Édouard Desor qui l’a découverte ; c’est un collembole – un insecte primitif sans ailes ni yeux – que l’on trouve dans les névés jusqu’à 3800 mètres d’altitude, et qui se nourrit de poussières et de pollens transportés par le vent.

Les tardigrades sont les plus étonnants de ces hôtes du glacier. Ils peuvent résister à un froid absolu aussi bien qu’à de très hautes températures, et supportent aussi bien les radiations que le vide. On les rencontre au Groenland et dans les glaciers Alpins.

Puce des glaciers" Desoria" et Tardigrade © A. Zryd
Puce des glaciers » Desoria » et Tardigrade © A. Zryd

Le glacier : produit de consommation !

Grottes de glace

Au Montenvers comme au glacier des Bossons, l’idée de faire monter les touristes sur le glacier a débuté avec les premiers voyageurs, puis, rapidement, le projet de faire pénétrer les touristes à l’intérieur même du glacier s’est imposé à la fin du XIXe siècle.

Ainsi sont apparues les grottes de glace, univers féérique recreusé chaque année en raison du déplacement du glacier. La première voit le jour en 1863 au front du glacier des Bois, à proximité des sources de l’Arveyron. L’existence de cette première grotte artificielle a longtemps été mise en doute, cependant l’étude des archives de Chamonix par Yves Abraham confirme son exploitation. Elle est vite abandonnée en raison du recul rapide du glacier des Bois qui perd 800 m en une décennie.  Par la suite, en 1872, la municipalité de Chamonix accorde une concession pour l’exploitation d’une grotte au glacier des Bossons ; à la même époque, en Suisse, la grotte de glace du glacier du Rhône voit le jour. La grotte de la Mer de Glace, elle, ouvre au public en 1947.

L’unique photo de la grotte de glace du glacier des Bois en 1863. En arrière plan, la montagne de la Côte © Y. Abraham
L’unique photo de la grotte de glace du glacier des Bois en 1863. En arrière plan, la montagne de la Côte © Y. Abraham
La  grotte de glace de la Mer de Glace creusée à l’initiative de Jean Marie Claret en 1947© J.F. Hagenmuller
La  grotte de glace de la Mer de Glace creusée à l’initiative de Jean Marie Claret en 1947 © J.F. Hagenmuller

Industrie de la glace

Exploitation de la glace au Bossons © JHV
Exploitation de la glace au Bossons © JHV

L’exploitation de la glace à partir du front de certains glaciers a débuté dans les Alpes françaises en réponse aux demandes croissantes des hôtels de luxe. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les premières exploitations ont lieu au glacier du Trient (Suisse), d’Argentière et des Bossons dans le massif du Mont-Blanc, de Gébroulaz en Vanoise. Le glacier suisse de Saleina est exploité de manière plus ou moins régulière de 1863 à 1914. Ainsi, 867 tonnes de glace sont extraites entre 1866 et 1869 : la glace est transportée par char jusqu’à Martigny, puis transbordée dans le train.  À Trient, elle est acheminée jusqu’au col de la Forclaz par une voie ferrée étroite.

Au glacier des Bossons, près de Chamonix, la glace est débitée à l’explosif. Puis, à l’aide de haches et de scies spéciales, les ouvriers façonnent des blocs qui parviennent directement au village par une longue glissière en bois, appelée « rise ».

Quelle que soit la destination, la glace recouverte de sciure est placée à l’intérieur de caissons en bois, qui gagnent ensuite par charrette ou camion des bourgades comme Megève, Sallanches et Albertville. Le train est également utilisé pour les longues destinations : Annecy, Genève et même Paris !

La Première Guerre Mondiale puis l’arrivée des premiers réfrigérateurs  mettent un terme à ce fructueux commerce de la glace.

 

 

L’utilité des eaux sous glaciaires : des réservoirs d’eau pour l’hydroélectricité

Les glaciers sont aujourd’hui les principaux fournisseurs d’eau pour la production d’énergie hydroélectrique dans les Alpes. En Suisse, 30,7 % de l’électricité dépend de l’alimentation des glaciers, en particulier valaisans. Le complexe d’Émosson SA (Franco-suisse) en est un exemple.

En France, la première prise d’eau sous glaciaire a été inaugurée en 1943 au glacier de Tré-la-Tête. Mais la plupart des installations hydroélectriques ont pris naissance entre la fin des années 1950 et le début des années 1970, une période caractérisée par la reprise d’une crue des glaciers.

Aujourd’hui, les eaux de fonte de huit glaciers du massif du Mont-Blanc alimentent la production électrique.

Les glaciers du Mont-Blanc dans la guerre

Les espaces englacés n’ont pas échappé aux guerres. Dans le massif du Mont-Blanc, les montagnards, guides entre autres, devenus résistants affrontent l’occupant. Durant l’hiver 1944-45, Allemands et Français, installés au refuge Torino et au col du Midi, se sont observés de part et d’autre de la Vallée Blanche. En février Chamonix est déjà libéré, mais en altitude les troupes allemandes tiennent encore l’accès au val d’Aoste. Dans un froid polaire, se déroule le combat le plus haut de la Seconde Guerre mondiale. Les Français l’emportent malgré le désavantage du nombre. En mars, un canon de 75 mm est acheminé au col du Midi afin de détruire le téléphérique du versant italien du col du Géant. Ce sera le dernier combat dans le massif du Mont-Blanc.